ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Iaiou

La glace à la crème



P. Danet : Magnum dictionarium latinum et gallicum, MDXCI 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou
- Iaiou
- Le petit jardin
- La glace à la crème
- Le fruit défendu
- Avec Iaiou
- Rina
- Mon péché
- Le Père dominicain
- La mort de Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



............................................

n matin, je suis réveillé par un miaulement qui sem­blait celui d’une chatte « en amour », comme on disait. C’était en effet le temps des amours pour les chats, le mois de mars. En sortant de la chambre, je dis à mon jeune frère : « As-tu entendu ? » « Quoi ? » « Le miaulement d’un chat » « Non ! Tu as surement rêvé, puisque tu es contre les chats. » J’ai ouvert la fenêtre pour voir si un chat était aux alentours, mais je n’en voyais pas, et de toute façon les branches d’un gros néflier m’en empêchaient. Mais j’ai vu des moineaux et aussi quelques hi­ron­delles et des arbres en fleurs. « Ah, me suis-je ex­cla­mé, on dirait que le printemps est déjà venu. » Aus­si­tôt ma sœur aînée sort de la chambre en nous di­sant avec joie : « Nous avons une sœur, Ugoline ». J’en fus surpris. J’ai pu voir lapetite sœur tout de suite après et je l’ai caressée délicatement, comme un petit chat. Son visage était rond et très mignon et sa peau douce, veloutée.

    Quelques jours après, il y a eu le baptême, auquel je ne participai pas, car personne ne m’y avait ame­né. Mon père avait voulu le fêter en nous réunissant l’après-midi pour nous offrir une glace qu’il avait pré­parée lui-même. J’ai regardé comme il la faisait. Papa prépara de la crème, qu’il versa dans une brai­siè­re qu’il tourna pendant une heure dans une cas­serole pleine de glace, afin de la transformer en « ge­lato à la crème ».
    On était tous autour de la vasque à l’ombre du grand amandier près de la cuisine : maman, les frè­res et les deux sœurs, tante Erneste et aussi Rina, une cousine qui habitait avec nous. On distribua la glace, qui était à moitié liquide. Mon père décida d’inviter aussi « Iaiou » ; Efisio alla le chercher et il vint, un peu confus. On lui offre la glace. Il la re­gar­de et, sans aucun compliment, dit « Je ne la prends pas… jaune, liquide… c’est comme le caca de la pe­tite qui vient de naitre ! Merci beaucoup, cepen­dant » et il retourne dans sa « lolla ». J’intervins tout de suite : « Iaiou a raison : c’est du caca de bambi­na ». En constatant qu’elle était visqueuse et jaune, j’avais réellement la sensation d’avaler le caca de ma petite sœur ! J’étais très difficile alors. Je me rap­pelle n’avoir jamais passé le pain sur l’assiette, parce que ça me dégoûtait. Il suffisait qu’une mou­che tombe dans mon assiette pour que je jette tout à la poubelle. Et je suivis mon grand-père…
    « Voilà " su sturru " (l’étourneau) ; On voit que tu préfères les figues à la glace », me dit-il. C’était la première fois qu’il m’appelait ainsi : Je n’étais plus un petit garçon auquel il permettait de cueillir des fruits, mais je devenais un interlocuteur, son confi­dent et ami. En m’appelant « étourneau » (sturru, storno) et non « moineau », il me donnait un titre de noblesse parmi les oiseaux du jardin.

    Je ne sais pas comment les autres ont réagi à notre égard. Peut-être mon père a-t-il imposé à tous de laisser passer, pour ne pas heurter le grand-père et rui­ner ainsi la fête. Je crois maintenant que mon père a pu comprendre l’attitude du grand-père, suggérée par son anticléricalisme : ne pas s’opposer à la célé­bra­tion d’un culte, mais pas y participer, même in­directement. Quant à moi, c’était trop tôt pour que j’aie une attitude personnelle à cet égard, mais je sui­vais mon grand-père, étant désormais tout à fait sous son influence. Maman aussi avait compris cela, mais elle en souffrait. J’en suis convaincu par ce qui se passa peu après.
    Comme j’avais commis une bêtise, maman m’ap­pelle et, en ayant peur, je m’enfuis dans le jardin où elle me poursuit, ce qu’elle n’avait jamais fait. En voyant mon grand-père, je me cache derrière lui en sorte que maman, en arrivant, se trouve en face de lui. Me tenant de ses mains derrière lui, mon grand-père, dit à ma mère, sa fille : « Thérèse, si tu le veux, tu dois passer sur mon corps ». Ma mère ne put que s’en aller. Là aussi, par la suite, aucune réaction ni envers son père, ni envers moi. Je crois aujourd’hui qu’elle était partagée entre le sentiment de mère, à mon égard, et celui de fille, vis-à-vis de « Iaiou ».
    Mais il convient que je précise ici, par incidence, que, comme j’avais passé une enfance maladive et très difficile, ma mère ne se permettait jamais de me frapper, par peur de porter atteinte à ma faible santé. Ce fait marquait mon passage d’un monde à un au­tre, de celui de la famille, qui me devenait étrangère, à celui du grand-père. Je dirais, plus concrètement, de la maison au jardin. Celui-ci devenait mon espace vital, au point que, lentement, je négligeais mon pe­tit jardin. Je n’avais plus besoin de lui, car main­te­nant je possédais le grand, où je me comportais com­me un petit « maitre de maison ».




Rédigé de 2009 à 2012




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t502330 : 27/11/2020