ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Autobiographie








Iaiou

La mort de Iaiou



Lettere a Mons. Pietro Bembo, 1560 



EN SARDAIGNE :

Dans un jardin en Éden

La grammaire latine

Iaiou
- Iaiou
- Le petit jardin
- La glace à la crème
- Le fruit défendu
- Avec Iaiou
- Rina
- Mon péché
- Le Père dominicain
- La mort de Iaiou

Œil de bœuf

De jardin en cimetière

Le sacrifice de ma mère

Enfant de chœur

Homo homini lupus

Revendication et pardon

La confession des péchés

Dans la contradiction
d’une crise


Le Père Olivi, à son retour


LE DÉPART



L’ITALIE



PUIS LA FRANCE



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es rencontres avec mon grand-père devinrent moins fréquentes, mais je n’avais pas cessé de lui rendre mes services. Vers la fin de l’année, il tomba mala­de. Sa « lolla » devenait triste, les fleurs fanaient sur leurs plants asséchés. Oncle Lazzaro, un des fils de Iaiou, lui aussi jardinier, venait quelquefois, mais il n’avait pas le temps de prendre en charge tout le travail du jardin.

    Une fois où je rendais visite à mon grand-père, il prit ma main et la serra dans les siennes ! J’en fus fortement touché, et lui aussi en était heureux. Non, il ne m’avait pas chassé de son jardin !
    Un autre jour, je constate que des sœurs viennent lui rendre visite. Puis un prêtre qui, le jour d’après, lui donne « l’extrême onction ». Tout de suite après, maman m’appelle et me dit que « Iaiou » veut me parler. Elle en était étonnée, et moi aussi. Je m’ap­proche donc de lui qui, prenant ma main, me dit « En­nio, je crois que tu es étonné en constatant que j’ai pris " la chose ". Tu dois savoir que les " cor­beaux noirs " ne sont pas venus eux-mêmes pour me dire de la prendre, mais qu’ils m’ont envoyé des fem­mes. Tu sais, Ennio, il est difficile pour un hom­me de refuser à une femme une chose qui lui fait plaisir. Or saches que j’ai pris " la chose " pour ne pas refuser de faire plaisir à ces femmes. Mais, sans aucun doute, si les " corbeaux noirs " étaient venus en per­sonne, je les aurais chassés. Vas Ennio, sa­che-le. » Je m’en vais, étonné de cet entretien.
    J’ai su par la suite que le docteur aussi était venu. Le soir, mon grand-père se met à délirer, criant que le docteur l’avait empoisonné, et il meurt dans la nuit.

    Le corps du défunt avait été exposé dans une salle de la maison. Un des fils d’Iaiou, « Zio Antonio », avait préparé une couronne avec des fleurs du jardin. Oncle Lazzaro, son frère, quand il la voit, se met en colère contre lui pour avoir fait une couronne indi­gne de celui qui avait été le superviseur de tous les jardins de la ville. Une couronne de pingres ! Il jette par terre la couronne faite par son frère, va au jardin pour cueillir les plus belles fleurs et fait une grande cou­ronne vraiment splendide. Il travaillait à côté du mort, vers lequel il tournait de temps en temps les regards comme pour lui demander s’il était satisfait. Il me paraissait que « Iaiou » lui répondait que oui, qu’il lui faisait la couronne qu’il méritait. Quant à maman, bien que fortement affligée par la mort de son père, elle apparaissait résignée, soulagée, parce qu’il était mort « con i conforti religiosi » (avec les consolations de la religion).
    Quelques jours après, j’ai dit à maman que Iaiou m’avait assuré avoir reçu l’extrême onction non par­ce qu’il y croyait, mais pour faire plaisir aux fem­mes qui étaient venues lui rendre visite. Maman s’est mise violemment en colère, m’accusant de men­tir en inventant de toutes pièces des choses faus­ses et calomnieuses. Et elle m’a catégoriquement dé­fen­du de redire ces choses à quiconque. « Tout le mon­de sait et peut témoigner, me disait-elle, que " Ia­iou " a bien reçu l’extrême onction ! » Je pensais que Iaiou, désormais parmi les esprits des morts, se serait borné à sourire en entendant les paroles de maman, pour ne pas la chagriner.

    Le jardin fut repris par l’oncle Lazare, qui m’a beau­coup aimé et laissé, lui aussi, tout à fait libre dans le jardin.

    Presqu’un mois après l’enterrement de mon grand-père, je tombe sur le docteur Porrà, médecin de la maison, qui me dit « J’ai plaisir de te rencon­trer, Ennio, car j’ai beaucoup fait pour toi quand tu étais enfant. Nous, docteurs, nous avons une grande res­pon­sa­bi­lité envers les jeunes, et poussons pour eux la médecine jusqu’à son impossible. Mais quand nous nous trouvons devant un vieux dont la guérison devient vraiment impossible et que sa famille ne peut pas garder au lit, comme c'était le cas de ton grand-père, nous sommes conduits à lui faire douce­ment une piqure qui l’envoie auprès de son Créateur plutôt que de le laisser peiner sur la terre. Porte-toi bien, Ennio… Ciao ! »
    Aussitôt, je prends la fuite comme un écureuil. Arrivé à la maison, je dis à ma mère, « Maman, ma­man, le docteur a tué " Iaiou " ! » Ma mère devient fu­rieuse, au point que j’ai peur qu’elle fasse une cri­se d’épilepsie, comme je l’avais déjà vu. « Encore une fois, Ennio, tu ne t’arrêtes pas de dire des men­son­ges ! D’où sors-tu ces absurdités ? Comment peux-tu oser accuser le docteur ? Es-tu fou ? »
    Je m’en vais dans le jardin, pour me réfugier dans la couche que j’avais faite dans le tronc du grand lys, dans le but précisément de me cacher. Dans cette niche, pelotonné sur moi-même, je me deman­dais, « Pourquoi maman croit-elle que je ne dis que des mensonges ? »




Rédigé de 2009 à 2012




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t502390 : 30/11/2020