ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




I- Regard critique sur les évangiles




1- L’annonce faite par Jésus de la trahison de Judas



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES
- L’annonce de la trahison
  - Aperçu des récits
  - Sens historique et sens
    théologique des récits
  - Sens référentiel des récits
    . L’annonce par Jésus
    . Connaissance par interpré-
      tation des Écritures
    . Conclusion de l’analyse
  - Genèse du discours du récit
  - Déstructuration et désalié-
    nation du texte
- Le contexte historique
- Les fêtes de la Pâque
- Gethsémani
- Le récit de la trahison
- La trahison simulée
- L’arrestation de Jésus
- Troisième rencontre
- Jésus, entre prophétie et
   politique

- La mort de Judas

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Analyse du sens référentiel du récit :
Conditions de possibilité
comme fait historique


   Pour que l’annonce de la trahison de Judas par Jésus revête une valeur historique, il est nécessaire qu’elle puisse lui être attribuée comme à une personne réelle, en accord avec le contexte de lieu et de temps de son existence. Il convient aussi qu’elle ait été entendue par ceux qui en ont porté témoignage. Mais encore, puisque la trahison se déclenche aussitôt qu’énoncée, il faut que la trahison soit réalisée et avérée. Or cette annonce ne parait posséder aucune de ces conditions de possibilité.
   Jésus annonce la trahison avant que celle-ci existe, et surtout il ne la connaît ni par des informations ni par des indices, mais seulement par l’interprétation des Écritures, source étrangère au fait et à l’expérience. Pourquoi l’annonce-t-il ? Certainement pas pour que les disciples l’évitent, ou n’en soient pas victimes, mais pour que, par elle, ils le reconnaissent comme le Christ.

   Il ne s’agit donc pas d’une annonce inscrite dans le contexte historique du moment, mais qui s’impose comme témoignage de la foi au Christ. C’est pourquoi Jésus ne manifeste aucun souci pour le mandat d’arrêt lancé contre lui, ni pour l’obligation de le dénoncer imposée aux pèlerins de la diaspora : il tient seulement à ce que les disciples en tirent argument pour le reconnaître comme le Christ. L’annonce n’a donc aucun impact sur le présent de la vie de Jésus, et ne se relie en rien aux événements de son histoire.
   On peut cependant avancer qu’elle a été faite et que cela est suffisant pour que les apôtres en aient été les témoins. Mais en est-on vraiment sûrs ? Dans l’évangile de Jean, Jésus dit à ses disciples, après leur avoir expliqué les Écritures : « Dès à présent je vous le dis avant que la chose n’arrive, afin que, lorsqu’elle arrivera, vous croyez ce que je suis » (Jn 13:19). Ces paroles supposent que la trahison n’est pas encore accomplie et qu’elle va s’accomplir dans le futur. Selon le récit cependant, elle se déclenche aussitôt au cours de l’annonce, ce qui implique, peut-être, que celle-ci n’a pas été faite à ce moment-là mais auparavant… ou bien qu’elle n’a pas été faite du tout.
   En effet, pourquoi Jésus prononce-t-il ces paroles ? Pour susciter les réactions des disciples ? Non, mais pour qu’ils croient en lui. Elles ne s’insèrent donc pas dans l’histoire de Jésus, mais dans celle de la foi en Jésus-Christ.

   Il est inconcevable de penser que Jésus ait pu donner à Judas le pain trempé dans sa coupe pour le désigner aux autres comme le traître. Le pain trempé était le signe d’un engagement de fidélité pour la vie, et Jésus aurait donné à Judas ce signe pour le désigner comme traître ? Est-il possible de mépriser Judas pour avoir trahi son maître par un baiser, et de rester indifférents devant Jésus, qui aurait marqué d’infamie son disciple par un acte qui scellait symboliquement son amitié pour lui par son sang ?
   Mais si Jésus agit en qualité de Christ peut-on alors dire que le Christ, incarné en lui, l’aurait poussé à accomplir un acte ignoble, indigne de l’homme ? Il est impensable que Jésus ait exhorté Judas à se presser d’accomplir son acte, parce qu’il serait alors le commanditaire d’un crime dont il serait lui-même la victime. Enfin, pourquoi aurait-il maudit celui par lequel le Fils de l’homme sera livré, quand lui-même le pousse à le trahir, en le désignant comme le traître et en ouvrant son âme à Satan, pour qu’il le pousse à la trahison ?

   La preuve de la réalité historique de l’annonce comme de la trahison viendrait-elle donc de Judas lui-même ? Mais celui-ci reste aussi étranger que ses condisciples à son sens. Comme eux, il ne trouve aucun écho de la trahison dans ses intentions, et comme eux, il demeure indifférent au fait que Jésus le désigne comme le traître. Il ne s’aperçoit même pas que Satan entre en lui. Une fois en lui, que fait Satan ? Le pousse-t-il à trahir ? Il ne semble pas, puisque Jésus ressent la nécessité d’y engager lui-même Judas. Malgré la double instigation, Judas continue, comme un aliéné, à servir son maître. L’oracle des Écritures, l’annonce de la trahison, la malédiction de Jésus sur lui, et même Satan le dépassent.

   On doit conclure que cette annonce donnée comme un témoignage par les apôtres et, à plus forte raison, la trahison elle-même n’ont aucun fondement crédible. Historiquement, elles n’ont pas eu lieu. Si le récit donne une existence à cette annonce, celle-ci demeure hors de l’histoire. En effet, ne s’inscrivant pas dans la référence historique du récit, elle plane sur lui comme une parole qui n’a de justification qu’en elle-même ; elle donne au récit un sens surajouté au sien. Les actants du récit se doublent, en sorte que le premier est conditionné par le second. La personne historique de Jésus se sublime en celle du Christ, les apôtres sont mis à l’écart, transformés en acteurs sans action.
   Quant à Judas, c’est un possédé qui joue le rôle de traître sans en avoir conscience. Cependant l’annonce demeure, comme un leitmotiv qui anesthésie le lecteur afin de le persuader du caractère historique du récit.

   On considérera peut-être que ces paroles sont tendancieuses et ont pour but de renier la foi. En réalité, elles ne rejettent pas la foi, mais la prétention de la foi à s’imposer comme le critère de vérité dans la connaissance et dans l’histoire. La foi ne peut avoir cette prétention parce qu’elle ne s’appuie pas sur la perception des faits, donc sur l’expérience, fondement de toute connais­sance, mais sur leur interprétation, comme le signe d’un ordre, d’une finalité, qui se situent en dehors de l’expérience. Faire d’un témoignage de foi un document d’histoire implique son refoulement et le viol de la raison, seule arbitre de la connaissance. Ces paroles se veulent seulement un avertissement au lecteur, afin que la foi ne devienne pas pour lui le piège d’une aliénation.



juillet 1987




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t610310 : 20/11/2017