ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




I- Regard critique sur les évangiles




9- Le tragique existentiel de Jésus dans le conflit entre prophétie et politique



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES
- L’annonce de la trahison
- Le contexte historique
- Les fêtes de la Pâque
- Gethsémani
- Le récit de la trahison
- La trahison simulée
- L’arrestation de Jésus
- Troisième rencontre
- Jésus, entre prophétie et
   politique

  - La vocation prophétique
  - Sur les traces d’Osée
  - Prophétie et révolution
    . La projet politique
    . Retour aux Juges
    . Purification du Temple
    . Tentative d’occupation
    . La fin tragique de Jésus
    . L’oracle d’Osée
- La mort de Judas

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Prophétie et révolution :
Le projet politique de Jésus


   Puisque l’action prophétique de Jésus était une révolution religieuse et politique visant à la constitution d’un état théocratique, il importe d’envisager la forme que Jésus entendait donner à la nation juive, pour qu’elle puisse être régie par Dieu lui-même. Pour y répondre, il faudrait entreprendre une recherche spécifique dans les évangiles, qui serait longue et complexe. Car il faudrait examiner minutieusement toutes les paraboles sur le royaume de Dieu pour voir si elles autorisent une visée terrestre et politique. Dans le cadre d’une recherche limitée, il suffit de s’attarder sur deux textes, où les apôtres sont appelés à siéger sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël (Mt 19:27-28 ; Lc 22:24-30). Certes, ces textes ont une portée eschatologique, mais puisque l’action prophétique de Jésus était aussi politique, ces deux textes offrent la possibilité d’une double interprétation.

   Dans le premier texte, Pierre s’informe auprès de Jésus sur ce que lui-même et les autres disciples recevront en récompense pour avoir tout quitté pour le suivre. Jésus répond : « Je vous le dis en vérité, quand le fils de l’homme, au renouvellement de toutes choses, sera assis sur le trône de sa gloire, vous, qui m’avez suivi, vous serez de même assis sur douze trônes, et vous jugerez les douze tribus d’Israël » (Mt 19:28).
   À l’évidence ce texte, faisant allusion à une intronisation qui n’est pas de ce monde, a une signification eschatologique à son premier niveau de lecture.
   Il précise en effet « au renouvellement de toutes chose » (palingenesia), qui se réfère à l’événement eschatologique de la nouvelle terre et des nouveaux cieux, à la fin des temps. Pierre veut savoir ce que les disciples recevront au temps de la « gloire » de Jésus, c’est à dire de sa glorification comme Christ et Seigneur.
   Mais si Pierre posait cette question au moment où il ignorait encore que Jésus était le Christ (et même s’il l’avait su), il ne pouvait pas avoir connaissance d’une christologie de la « gloire ». Ce qui laisse supposer qu’il recherchait une récompense dans cette vie et non dans l’autre. Dans le texte parallèle de Marc, Jésus ne limite pas sa réponse à un règne eschatologique, car il déclare aux disciples « Il n’est personne qui, ayant quitté à cause de moi sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou sa mère et son père... ne reçoive le centuple présentement dans ce siècle et, dans le siècle à venir, la vie éternelle » (Mc 10:29-30).

   Le second texte est extrait de l’évangile de Luc : « Il se leva aussi parmi les apôtres une querelle (filoneikia) : lequel d’entre eux devait être estimé le plus grand ? Jésus leur dit : les rois des nations les maîtrisent et ceux qui les dominent sont appelés, bienfaiteurs. Qu’il ne soit pas de même pour vous. Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert... Vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes épreuves, c’est pourquoi je dispose du royaume en votre faveur, comme mon Père en a disposé en ma faveur, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume, et que vous soyez assis sur des trônes pour juger les douze tribus d’Israël » (Lc 22:24-29).
   Ce passage a sans doute, lui aussi, un sens eschatologique. En effet, l’allusion à un royaume ne peut qu’évoquer le temps de la glorification du Christ, déclaré par Dieu roi de l’univers. La représentation des apôtres mangeant et buvant à la table de Jésus dans son royaume est la transposition du repas de la Pâque qu’ils viennent de consommer. Toutefois, cette parole de Jésus répond à une « querelle » de rivalité entre les apôtres, rivalité qui n’est concevable que s’ils attendaient véritablement, et avec passion et désir, un pouvoir sur cette terre.

   L’Analyse référentielle conduit, d’abord, à se demander qu’elle « grandeur » a pu provoquer la rivalité des disciples. L’intervention de Jésus ne laisse aucun doute qu’il s’agissait d’un pouvoir politique, puisqu’il les confronta avec les rois de la terre et leur assura, à la fin, qu’il les établirait sur les trônes de douze tribus d’Israël. Jésus ne leur reprocha pas d’aspirer à un pouvoir, mais les mit en garde contre la suprématie de ce pouvoir propre aux rois de ce monde. Quant à eux, que « le plus grand parmi eux soit comme le plus petit, et celui qui gouverne, comme celui qui sert ». S’ils aspirent à devenir « grands », que la noblesse soit un service et non une domination sur les hommes.
   Ainsi les disciples s’attendaient-ils à recevoir une charge politique, imminente et dans monde ci. Sinon, il serait impensable qu’ils en aient fait un objet de dispute, et que Jésus leur eut donné pour principe de gouvernement l’éthique du service. Une telle exhortation aurait été un non-sens pour une charge eschatologique.

   Cette querelle aurait été absurde au moment de la Pâque, puisque la décision de Jésus de quitter le pays, la crainte de l’arrestation, l’évocation possible de sa mort, sa situation de fugitif, ne sont pas des occasions favorables à la conquête d’un pouvoir. Les textes parallèles donnent à penser qu’elle dut se produire lors de la montée de Jésus à Jérusalem, au moment de la purification du Temple, à la fête de la Dédicace.

   Selon Marc, à ce moment-là, les fils de Zébédée Jacques et Jean demandèrent à Jésus de leur accorder d’être assis, l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, quand il serait dans sa gloire. « Les dix, ayant entendu, commencèrent à s’indigner contre Jean et Jacques ». Jésus leur fit alors la réponse sur le comportement des chefs des nations (Mc 10:35-45). Chez Matthieu, c’est la mère des fils de Zébédée qui présente la requête pour ses enfants (Mt 20:20-28). Pourquoi cette femme s’est-elle empressée de s’assurer auprès de Jésus, avant d’atteindre Jérusalem, que ses enfants, qu’elle estimait plus dignes que les autres apôtres, reçoivent un privilège de Jésus ? Parce qu’elle avait conscience que Jésus se préparait à renverser le pouvoir politique des sacrificateurs, pour le confier aux apôtres.
   Quant aux récits synoptiques, ils auraient sublimé la visée politique de Jésus en événement christique et fait de la requête des enfants de Zébédée, ainsi que de l’altercation des disciples, une demande de participation à la gloire du Christ. La parole originelle de Jésus a été ainsi remaniée. Chez Matthieu, elle a été sortie de son contexte, et laissée comme parole fluctuante pour qu’elle ne conserve pas d’autre sens qu’eschatologique.
   Chez Marc, la requête des deux disciples a été maintenue, mais l’allusion à l’élévation des apôtres comme juges des douze tribus d’Israël a disparu. Chez Luc, tout est rapporté au repas pascal, qui ne peut donner à l’élévation des apôtres qu’un sens christologique et eschato­logique.




juillet 1987




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t618310 : 05/12/2017