ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Judas




I- Regard critique sur les évangiles




9- Le tragique existentiel de Jésus dans le conflit entre prophétie et politique



PROLOGUE

INTRODUCTION

REGARD CRITIQUE SUR LES ÉVANGILES
- L’annonce de la trahison
- Le contexte historique
- Les fêtes de la Pâque
- Gethsémani
- Le récit de la trahison
- La trahison simulée
- L’arrestation de Jésus
- Troisième rencontre
- Jésus, entre prophétie et
   politique

  - La vocation prophétique
  - Sur les traces d’Osée
  - Prophétie et révolution
    . La projet politique
    . Retour aux Juges
    . Purification du Temple
    . Tentative d’occupation
    . La fin tragique de Jésus
    . L’oracle d’Osée
- La mort de Judas

DU JUDAS DE L’HIS­TOIRE AU JUDAS DES RÉCITS

ÉPILOGUE

ANNEXES


. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

Prophétie et révolution :
Le retour au régime des Juges


   Jésus, par sa parole prophétique et par son action, voulait ainsi refonder la nation sur l’alliance de Dieu annoncée à Osée, à partir du régime des Juges. Jésus considérait cette forme de gouvernement comme la plus adaptée pour que le peuple puisse être régi non par le pouvoir d’un homme, mais par Dieu directement.

   Cependant, ce régime n’offre pas une image cohérente, car il se trouve pris entre deux représentations contraires, l’une christologique, l’autre politique et historique, celle des « Juges ».
   Selon la première, les douze Juges, correspondant aux douze tribus d’Israël (chaque Juge siégeant sur un trône) demeurent soumis à la souveraineté d’un roi. Or cette image ne correspond pas à celle des Juges historiques. Il n’y a pas eu dans l’histoire un Juge pour chaque tribu d’Israël, ni même un Juge pour tous. De plus, ils ne siégeaient pas sur un trône, puisque leur autorité n’était pas liée à une institution mais naissait d’un événement, par exemple une guerre de libération. C’est dans ce but que Dieu les avait suscités (Jg 2:16).
   Les Juges n’étaient pas soumis à une autorité royale, ils étaient, au contraire, l’antithèse du roi. Quand le peuple demanda à Samuel un roi, Dieu dit au prophète-juge : « Écoute la voix du peuple, car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux » (1 S 8:7). Le régime des Juges était donc, par sa structure, opposé à la royauté, et par là même considéré comme le support du gouvernement de Dieu.
   Tenant compte de ces différences, il faut considérer l’attribution de la royauté à Jésus comme un thème christologique et non historique, tandis que la nomination des apôtres comme Juges d’Israël faisait partie de son programme politique, inspiré de l’organisation historique des Juges.

   Mais pourquoi ne pas considérer que l’installation des apôtres comme Juges relevait aussi de la christologie ? Parce que cette annonce était la réponse à une question posée par les disciples, qui lui demandaient de se trouver l’un à sa droite, l’autre à sa gauche, dans le royaume attendu à l’issu de l’événement de la purification du Temple. La réponse de Jésus correspondait à leur demande, même si elle les laissait insatisfaits. Pour conclure, Jésus voulait instaurer un royaume de Dieu du type de celui des Juges, sur terre et non dans l’eschatologie. Cherchons à en comprendre la nature.

   Convaincu que Dieu voulait retourner dans son peuple, Jésus prépara non seulement le rassemblement en vue du jugement de la « mère », mais aussi une organisation de la société où Dieu puisse régner, au terme de l’annonce et de l’action prophétique révolutionnaire de Jésus. Il s’agissait d’une « société », car Jésus visait moins l’État que la nation. En effet, il ne pouvait pas ne pas se rendre compte qu’Israël était soumis à l’empire romain.
   La part que Rome lui laissait, était précisément la « société », dans sa religion, ses traditions, ses idéologies, la famille, etc. Dans la réponse qu’il avait faite aux pharisiens au sujet du tribut à César, Jésus ne remettait pas en cause l’autorité de l’empire : « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt 22:21). Le politique au sens strict, qui est limité à l’État, ne le concernait pas. Sa révolution, si elle était politique au sens large, n’était pas « étatique ». On peut penser qu’il recherchait plutôt une forme théocratique de la société.
   Dans cette recherche, il excluait toute approche de régime royal. À la requête du peuple d’avoir un roi, Dieu avait dit à Samuel, le dernier des juges, « Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, mais moi... ». La royauté était donc considérée comme le gouvernement sous le pouvoir d’un homme, à l’opposé du régime des Juges qui était la forme propre au pouvoir de Dieu. Après l’élection du roi, le peuple conservait toujours le remords d’avoir péché, « Car nous avons ajouté à nos péchés – disent-ils à Samuel – le tort de demander pour nous un roi » (1 S 12:19). Pourquoi ? Parce que le roi établit son propre Droit, qui s’oppose à celui de Dieu, comme un défi envers lui (1 S 8:10-17).
   Jésus s’est tourné alors vers les Juges, qui agissaient sous la seule inspiration de Dieu. Ne siégeant pas sur des trônes, leur pouvoir n’était pas héréditaire. Ils étaient reconnus comme chefs par leurs exploits de libération du peuple de ses ennemis environnants. Ils n’étaient pas des prophètes mais des combattants, défendant et achevant la conquête de la terre donnée par Dieu au peuple. Jésus ne pouvait donc faire de ces juges des rois, ni les destiner à des guerres de libération. Pour lui, le juge n’était qu’un « conducteur » (egemon) du peuple, non en vue du pouvoir, mais du service des frères : « Qu’il ne soit pas de même pour vous. Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert » (Lc 22:26 ; Mt 20:26).
   Et Jésus? Quelle place se réservait-il dans le royaume de Dieu ? Tenant compte de son idéologie religieuse et politique, où le Roi est Dieu lui-même, il est inconcevable que Jésus ait pu se réserver une place royale, au-dessus des douze juges. S’il est vrai qu’il a été condamné pour s’être fait roi, c’est que l’occupation du Temple avait été considérée comme un crime politique de prise de pouvoir. Que, dans sa glorification christique, il ait été considéré comme roi, ne le supposait pas tel dans sa vie d’homme. Il ne s’est pas déclaré roi, mais ceux qui ont cru qu’il était le Christ l’ont fait.
   Entre les Juges et Dieu il n’y avait d’autre place que celle de prophète. Puisqu’il avait donné au peuple une constitution fondée sur la nouvelle alliance, il devait être, lui-même, capable d’en donner la véritable interprétation. Il ne fut donc pas un roi, mais un prophète-juge. Sans doute Jésus s’est-il inspiré de Moïse et de Samuel, qui étaient l’un et l’autre des prophètes politiques, l’un pour avoir donné au peuple sa première constitution, l’autre pour l’avoir gouverné comme Juge suprême et comme prophète.



juillet 1987




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t618320 : 05/12/2017