ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le bâtard :

les récits sur Marie et l’origine bâtarde de Jésus



Sommaire
Prologue

La méthode

Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
  . L’intrigue
  . La péripétie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé

De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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La péripétie de la fable et du récit des évangiles


   La péripétie contenue dans le récit de la naissance du héros rapporte que la vierge-mère est considérée comme une prostituée et l’enfant comme un bâtard. Elle suppose donc que la conception par la vierge est mystérieuse et inconnaissable, tandis que la grossesse hors du mariage est la preuve de la prostitution et de l’illégitimité. Pour le sens commun, une femme trouvée enceinte hors du mariage est considérée comme une adultère, même si elle prétend avoir conçu par l’intervention d’un dieu. La péripétie marque l’opposition entre l’origine divine du fait et son caractère scandaleux.

   On peut objecter que, dans les récits évangéliques, il n’existe pas de péripétie, puisque Marie n’est pas présentée comme une prostituée, les auteurs tenant à ce qu’elle soit l’épouse de Joseph et à ce que son enfant naisse juridiquement selon la lignée des fils de David et d’Abraham. Dès lors, on affirme que les évangélistes n’empruntent pas le même schéma : la naissance de Jésus constituerait un genre littéraire particulier.
   Pour que cette interprétation soit valable, il n’est pas suffisant de constater que les auteurs présentent Marie comme une vierge au sein d’un mariage légitime et que Jésus est fils de David, il est nécessaire aussi que le texte n’oppose pas de résistance à cette affirmation. Or il en est tout autrement.
   Matthieu n’affirme pas que Marie « se trouva enceinte », mais qu’elle « fut trouvée enceinte » (Mt 1:18), ce qui explique le doute et l’attitude de Joseph dont nous avons déjà parlé. La péripétie est déjà là : pour l’opinion, Marie ne peut être considérée que comme une adultère, elle ne l’est pas pour ceux-là seuls auxquels « l’ange du Seigneur » (Mt 1:20) révèle qu’elle est enceinte par la puissance de Dieu. Chez Luc, l’absence de référence au doute de Joseph ne peut s’expliquer que par une censure. Notons aussi que chez Matthieu – à la différence de Luc et du modèle mythique – l’ange de Dieu s’adresse à Joseph et non à la vierge, pour l’innocenter de l’accusation sous-jacente de prostitution. Chez Luc, la censure n’est pas totale : s’il est vrai que le doute n’y pèse pas sur Marie, celle-ci s’adresse néanmoins à l’ange pour lui avouer qu’elle « ne connaît pas d’homme » (Lc 1:34). Ce dialogue de Marie avec l’ange laisse apparaître l’intention polémique de l’auteur d’écarter le soupçon de prostitution.
   L’insertion de Marie dans un mariage légitime avec Joseph ne modifie pas l’arrière-plan du récit, Marie restant dans la lignée de la vierge enceinte du mythe, son mariage ne pose aucun problème à celui qui persiste dans la foi en la naissance virginale. De plus Joseph, en restant son mari, ne joue vis-à-vis d’elle d’autre rôle que celui du gardien de la fable de la naissance du héros. Non seulement Joseph laisse Marie se comporter comme la vierge du mythe, mais chez Matthieu il l’accompagne dans sa fuite en Égypte et, chez Luc, dans son errance par la campagne de Judée, pour qu’elle accouche clandestinement et expose son enfant afin que des bergers puissent le découvrir.
   En bref, les récits des évangélistes ne sont que des variations sur le thème de la naissance du héros visant à polémiquer avec les détracteurs de Marie.

   La trame de la naissance du héros demeure donc la base des récits de Matthieu et de Luc. Or, si cette trame sous-tend le texte, il faut reconnaître que le soupçon de femme prostituée et adultère pèse sur Marie, de même que celui de bâtardise sur Jésus. Ce soupçon apparaît d’autant plus fondé que les évangélistes s’efforcent de le refouler, mais qu’il résiste à ce refoulement. Les évangélistes auraient-ils pris le risque d’entacher Marie et son fils d’illégitimité s’ils n’y avaient été contraints ?
   Si l’on suppose au contraire qu’ils ont dû faire face à des accusations juives, leur récit devient compréhensible. En effet, ne pouvant opposer des faits à ces accusations, ils leur répondirent en les interprétant à la lumière de leur foi christologique. Pour cette interprétation, la naissance du héros s’offrait comme le modèle le plus adéquat(1). En effet ce modèle suppose, comme l’accusation, que le héros était considéré comme un bâtard et sa mère comme une prostituée ; de plus il déclare par l’oracle du dieu que l’une est vierge-mère, l’autre « fils de Dieu ».

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(1) Non seulement Justin est conscient de l’affinité entre les récits de Matthieu et de Luc et ceux de la naissance du héros, mais il nous apprend que les juifs accusaient les chrétiens d’avoir créé la fable de la virginité de Marie en se fondant sur les mythes grecs. Il met en effet dans la bouche de Triphon ces paroles : « Du reste, dans les fables de ceux qu’on appelle Grecs, on dit que Persée naquit de Danaé, qui était vierge, après que celui qui s’appelle Zeus se soit répandu sur elle sous forme d’or. Vous devriez rougir de raconter les mêmes choses qu’eux… » (Dial. 67). Justin fait aussi allusion à Dionysos, fils de dieu né de la vierge Sémélé, à Héraclès, qui naquit de l’union de Zeus avec Alcmène (Dial. 69). Justin croit lui-même que toutes les fables des Grecs ont été imaginées sous l’inspiration des démons, « dans l’espoir qu’ils pourraient faire passer auprès des hommes l’histoire du Christ pour une fable semblable aux inventions des poètes » (Justin, Ap. I, 54) tant pour lui les deux fables sont semblables.
Les théologiens et les exégètes modernes, surtout les catholiques, arrivent à la conclusion opposée, niant toute affinité entre les récits de Matthieu et de Luc et la fable de la naissance du héros. La virginité de Marie serait tout autre chose ! Il y en a même qui ont l’impudence d’affirmer que, dans ces mythes, il ne s’agit pas d’une véritable virginité : « Plus on regarde… plus on constate que, dans la mythologie grecque, il n’y a rien qui s’approche, même de loin, de l’idée d’une conception virginale » (J. Mc Hugh, The mother of Jesus on the new testament, Donton, London, 1975, p. 222). Peut-être, sans le savoir, ont-ils la même position que Celse, qui considère que la mère de Jésus est si inconnue, si laide et de si basses origines qu’elle n’a rien pour être assimilée aux vierges fécondées par Zeus (Celse, Rougier, Op. Cit., 8).   Retour au texte



1984




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