Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
. La naissance
. La généalogie
. Évangiles : Luc et Jean
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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Les évangiles de Luc et Jean
En dehors des récits de la naissance, le nom de Joseph n’apparaît dans les évangiles que quatre fois : deux chez Luc et deux chez Jean.
Luc débute ainsi la généalogie de Jésus : « Jésus avait environ trente ans lorsqu’il commença son ministère étant, comme on le croyait, fils de Joseph » (Lc 3:23). Chez le même évangéliste, la seconde référence à Joseph est dans le récit de la visite de Jésus à Nazareth : les gens, « étonnés de la parole de grâce qui sortait de sa bouche, disaient : n’est-ce pas le fils de Joseph ? » (Lc 4:22). Les deux passages sont liés : ils tendent à accréditer que Joseph est le « père » de Jésus, comme Luc l’a affirmé dans les récits de la naissance (Lc 2:33 ; 48), père, bien entendu, non selon la génération mais selon la légitimité du mariage.
Il est cependant opportun de se demander si l’affirmation de Luc, selon laquelle les gens croyaient que Jésus était fils de Joseph, est historique ou théologique. Le fait que, dans le texte parallèle de Marc sur la visite de Jésus à Nazareth, les gens ne disent pas que Jésus est « fils de Joseph » mais « fils de Marie » (Mc 6:3) constitue un démenti de l’affirmation de Luc. Dès lors, on doit penser que Luc s’est proposé de censurer le texte de Marc pour présenter Jésus comme fils légitime mais, du fait de cette censure, Luc est contredit par Marc : la génération virginale de Jésus n’ayant qu’une valeur théologique, les gens ne connaissaient Jésus que comme bâtard.
Dans le quatrième évangile Philippe, rencontrant Nathanaël, lui dit : « Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la Loi et dont les prophètes ont parlé : Jésus de Nazareth, fils de Joseph » (Jn 1:45). La seconde mention de « Jésus fils de Joseph » est à la fin du discours de Capharnaüm : choqués par les paroles de Jésus « je suis le pain de vie » (Jn 6:35), les juifs s’exclament « n’est-ce pas là Jésus, le fils de Joseph, dont nous connaissons le père et la mère ? » (Jn 6:42). Nous avons déjà examiné ce second passage, concluant que l’expression « fils de Joseph » est une interpolation de rédacteurs canoniques, je n’étudierai donc ici que le premier.
Il est étrange que Philippe présente Jésus à Nathanaël à la fois comme originaire « de Nazareth » et comme « fils de Joseph ». En effet, hors des passages de Luc dont il a été fait mention, Jésus n’est désigné dans les évangiles que comme « nazaréen » (Mc 1:24 ; 10:47 ; 14:67 ; 16:6 ; Lc 4:34 ; 24:19), ou comme venant « de Nazareth » ( Mt 21:11 ; Mc 1:9 ; Ac 10:38). On notera aussi que l’expression « fils de Joseph » est extérieure au dialogue entre ces personnages : ce dialogue trouve sa signification dans le fait que Jésus est de Nazareth, et non fils de Joseph. Nathanaël répond en effet à son interlocuteur « peut-il venir de Nazareth quelque chose de bon ? » (Jn 1:46). L’expression « fils de Joseph », qui précise la personne de Jésus, répond donc au souci du compilateur qui veut supprimer du texte tout soupçon sur l’origine bâtarde de Jésus. D’ailleurs, cette mention ne se trouve pas dans tous les manuscrits.
On doit donc conclure que l’expression « fils de Joseph » a une fonction exclusivement théologique : les évangélistes entendent donner à Jésus un père légal, dans le personnage de Joseph, pour l’inscrire dans la généalogie des fils de David et donc d’Abraham. L’apparition du personnage de Joseph implique le refoulement du véritable père de Jésus, qui demeure dans le non-dit du récit. Dans la mesure où l’on distingue en Jésus la personne historique du personnage christique, on peut affirmer qu’il n’est fils de Joseph que dans sa personnalité christique ; comme personne historique il est un fils illégitime, un bâtard.
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