’entendement perce toute chose de son regard, mais il s’obscurcit lorsqu’il se porte sur lui-même » (4).
Soulignons tout d'abord le caractère imagé, presque sacré, de l’affirmation. Un voile d’obscurcissement s’interpose entre notre pensée et nous-mêmes, comme si elle se trouvait en face de Dieu. C’est la divinité de l’homme, telle que Pic de la Mirandole l’avait proclamée.
En effet, l’homme ne possède pas de nature : son être n’est pas conditionné à une loi de nécessité, mais il se rapporte au rôle que l’homme doit jouer dans l’univers, c’est à dire d’agir en dieu. « L’esprit est dans le corps, comme Dieu est dans le monde ». Il existe donc dans son univers, parce qu’il est présent partout sans être attaché nulle part, « possédant tout sans être possédé », toujours « agissant », comme Dieu est toujours « actant ». Il est le simulacre de Dieu.
Deux moments caractérisent la prise de conscience de lui-même : d’une part, il se saisit dans le vis-à-vis de ses œuvres (à ce niveau, déjà, il se connaît comme dieu) ; d’autre part, il va jusqu’à pénétrer à la source de son être divin (et là, il se trouve devant le mystère). En conséquence, il peut bien comprendre ce qu’il fait, non ce qu’il est : le voile se trouve là. Il importe de souligner dès maintenant cette thèse, à laquelle Vico restera toujours fidèle, nous ôtant par sa démarche tout espoir de le comprendre dans le cadre d’un idéalisme absolu.
S’il tient toujours à conserver la distinction entre pensée humaine et pensée divine, chez lui, cependant, Dieu et l’homme se trouvent dans une relation complexe qui les inscrit dans une unité profonde. Il convient de préciser toutefois que l’homme n’est dieu que dans le cadre d’une analogie avec Dieu. Il est dieu dans son univers, comme Dieu l’est dans le sien. L’analogie est cependant brisée sur deux points : pour l’homme, en ce qu’il ne parvient pas à saisir son être qui le transcende ; pour Dieu, en ce qu’il ne parvient pas à se détacher de l’univers qui lui resterait attaché comme le corps à l’âme.
Dieu serait-il alors l’âme du monde, comme l’homme l’est de son corps ?
Il n’est point hasardeux d’affirmer avec Gentile que cette page trahit la rencontre de Vico avec la philosophie de Giordano Bruno. Peu importe si celui-ci n’est jamais nommé au cours de l'œuvre vichienne. Napolitain, Vico aurait-il pu échapper à la hantise du philosophe nolain qui marque l’aboutissement tragique de toute la pensée de la Renaissance ?
Dans l’oeuvre de Bruno était impliquée l’identification entre le mens dei et la ratio mundi, se fondant entre autres sur le fait que l’action divine, étant infinie, ne peut produire que de l’infini. Or, ne peut exister qu’un seul infini (5). Vico échappe à cette identification en affirmant que Dieu existe même si le monde périt. L’identité définie par Bruno semble être transférée dans la relation entre le mens homini et le mens dei. Entre l’homme et Dieu existe plus qu’une analogie, puisque l’homme serait défini par sa similitude avec Dieu : similitude signifie plus qu’analogie.
Qu’est-ce donc que l’homme, qui ne peut se définir que par rapport de similitude avec Dieu ?(6) Le problème reste ouvert. Vico cherchera à y répondre au cours de ses discours d’ouverture, comme pour se délivrer de l’enchantement que les deux philosophes maudits, Bruno et Spinoza, exerceront sur lui.