our réaliser ce projet, Vico avait ressenti, avant tout, le besoin de recomposer l’unité culturelle brisée par le cartésianisme. Il fallait ôter les préjugés qui avaient favorisé la rupture et mettre en évidence les points de convergence, mais surtout préparer les consciences au dépassement des conflits par la compréhension approfondie de leur propre culture.
Ce fut le projet des Discours, pour lesquels il s’est inspiré du De hominis dignitate de Pic de la Mirandole, œuvre empreinte d’esprit de conciliation et de dialogue. En dépit de la diversité des arguments, ces Discours furent un exemple de rencontre culturelle sur un projet d’homme, dont l’humanisme et le cartésianisme n’ont été que des expressions complémentaires. Ils montrèrent que les deux mouvements en conflit cherchaient à ramener l’homme de la dispersion des sens à la conscience de soi, l’un au moyen de la poésie, l’autre de la pensée critique.
De ce fait, à travers les Discours, il put s’adresser aux jeunes en leur inculquant la dignité de l’homme et la recherche de la vérité, objets des perspectives de l’humanisme comme du cartésianisme. Il put ainsi présenter la synthèse de l’homme créateur des humanistes et du « je pense » cartésien, comme une prétention de la culture plutôt que comme un présupposé épistémologique et encyclopédique.
Cette approche épistémologique du problème fut poursuivie par le De ratione. Alors que, dans la première œuvre, Vico s’était appuyé sur les convergences culturelles de l’humanisme et du cartésianisme, dans la seconde il a cherché à en relever les points de rupture, les confrontant au moyen de leurs méthodes. Leur opposition lui est alors apparue : l’humanisme se fondait sur la conception de l’homme comme « ingenium », et le cartésianisme comme « esprit ».
En analysant cette opposition, Vico a constaté que les méthodes cartésienne et humaniste se partageaient le savoir, l’une s’appropriant la philosophie et les sciences, l’autre les arts, à cause de leur caractère respectivement analytique et synthétique. Il crut alors nécessaire de les « concilier » pour parvenir à une formation intégrale de l’homme et à l’unité du savoir. Cette tentative l’entraîna dans une recherche qui se révéla effectivement beaucoup plus vaste et problématique qu’il ne l’avait pensé au début de son œuvre. Il était impossible, en effet, de réunir l’« ingenium » et l’« esprit », et leurs domaines respectifs, sans rechercher aussi leurs points de rupture au niveau du sujet pensant.
C’était poser le problème de la structure fondamentale de la pensée. Comme le montraient les limites de l’humanisme et l’exigence du cartésianisme, la pensée était-elle intuitive et analytique ? Ou bien, était-elle aussi créatrice ? Vico a alors pénétré en profondeur dans les silences et dans les espaces vides de l’humanisme et du baroque, comme aussi du cartésianisme. Il a vu dans l’affirmation de l’homme créateur des artistes humanistes et baroques l’exigence d’une activité créatrice prétendant recouvrir toute la pensée. Par contre, dans la méthode analytique cartésienne, il a reconnu le processus inverse de la création, par un retour de la pensée sur elle-même. Toutefois il est resté en grande partie victime de la tension entre l’humanisme et le cartésianisme. Cependant, l’importance de sa démarche relève non de ses limites de fait, susceptibles d’être dépassées comme elles le furent dans la Science nouvelle, mais de la découverte d’un autre statut de la pensée, qui ne pouvait se définir que comme synthèse a priori.