ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 4 - Itinéraire d’un bâtard :

Le désert



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664 





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard
- Qui est ma mère ?
- Qui suis-je ?
- Le baptême de feu
- Le désert

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


e revis Jésus après le repas et l’interpellai :
- Rabboni, André m’a parlé de tes épreuves dans le désert. J’ai ressenti profondément la souffrance que tu y as subie. André a raison de dire qu’on ne sort vivant de ce creuset que grâce à Dieu !
- Certainement, Maria, et lorsqu’on reçoit cette grâ­ce, on est aguerri pour supporter le désert de l’âme. Dans ce désert d’où je sors, l’homme n’a pas un morceau de pain pour apaiser sa faim ; sa position est si accablante qu’il reste couché, ou se traîne à quatre pattes, comme les bêtes. Vivre là est aussi éprouvant que sur une terre aride et désolée !
- Cette terre aride de Juda, Rabboni, était pour toi un désert humain, où tu étais homme sans père et sans mère, chassé par tes amis et traqué par tes ennemis.
- C’est vrai... et pourtant, il y a de quoi se réjouir parce qu’on vit une seconde naissance, engendrée par la volonté de Dieu et non par le désir de la chair.
- N’était-ce pas déjà ta situation, quand tu as été sau­vé après avoir été exposé ?
- Non, car après avoir été recueilli il faut revivre en soi-même l’état originel du premier homme.
- Comme Adam, au premier temps de sa création.
- Oui, à la différence qu’on y revient pour se re­trou­ver un être qui n’est plus de ce monde, dans un es­pa­ce différent. La terre s’ouvre devant soi à l’infini, in­culte, avec pour unique végétation des ronces et de la mousse. Le ciel la recouvre d’un voile immense. Le temps est uniforme, scandé par l’enchaînement inin­terrompu du cours et du décours du soleil et des étoiles ; aujourd’hui est comme hier, demain comme aujourd’hui. Où étais-je ? Ici et ailleurs, dans ce lieu de nulle part, un espace et un temps sans histoire, qui appartenaient plus au cosmos qu’à l’homme. J’étais devenu un être du cosmos, un homme des origines...
Adam n’a-t-il pas été placé dans un jardin couvert d’arbres et de ruisseaux ?
- Une fois sorti de la glaise, il a été laissé sur la terre aride. Le jardin est venu plus tard, image de la terre transformée par son travail. J’avais pris conscience de mon désir de vivre ; je devais gratter le sol, dé­couvrir les sources cachées, les racines, les semen­ces, pour ne pas manger de la terre comme le ser­pent ; je devais me défendre du froid, de la pluie, de la chaleur et du vent, comme les animaux. Cette lutte s’appuyait sur l’expérience intérieure du retour aux origines : puiser ma force au tréfonds de moi-même, en deçà de la mémoire, parcourir l’histoire en en in­versant le cours pour me retrouver avant la chaîne des généalogies, les expériences de la culture, la tech­nique du savoir. Au fond de nous-mêmes, l’image de l’homme originel nous attire et nous hante, où cha­cun retrouve la source de son identité, image qui est besoin de recevoir et impératif de faire, an­goisse du néant et jouissance d’être. L’homme origi­nel n’y a pas encore de visage, semence qui contient l’huma­nité comme le grain cache la plante.
- Ainsi tu as vu Dieu face à face, comme Moïse ?
- Personne n’a vu Dieu : ni moi, ni Moïse, ni aucun prophète. Au désert cependant, tout est signe de Son langage : le mouvement des astres et des nuages, le souffle du vent et le vol des oiseaux, le cours des jours et le retour des nuits. L’homme du désert ne s’arrête plus aux phénomènes, il interprète des signes pour découvrir le sens de son être. Au Sinaï, Moïse a perçu les signes par lesquels Dieu se manifestait : la foudre et le tonnerre, les nuages et le vent, le feu et la lumière. En ce sens, il a vu Dieu.
- La Loi de Moïse est donc une interprétation de ces signes ? Et toi, qu’as-tu lu au ciel du désert ?
- Le prophète interprète le langage de Dieu, pour don­ner sens à la vie du peuple lisant dans ses actes des paraboles. Moïse donna une signification à la genèse des enfants d’Abraham, je suis appelé à don­ner sens à la naissance de l’homme comme fils de Dieu. Le modèle qui m’inspire n’est pas celui de Mo­ïse, mais l’Alliance établie par Dieu avec les hom­mes dès la création. Je n’abolis pas la Loi de Moïse, je la renouvelle dans l’esprit de la genèse de l’homme.
- C’est pourquoi tu t’attires les foudres de ceux qui s’estiment les gardiens de la Loi.
- Cette confrontation est inévitable et je ne peux pas en prévoir l’issue, mais je ne suis pas le seul à an­non­cer ce retour aux origines : des prophètes m’ont pré­cédé, notamment Osée... Ayant appris que j’avais survécu, les gens venaient me voir car tout homme porte en lui Adam, l’homme originel, et rêve de ren­contrer qui cherche à lui ressembler. Je n’étais plus seul, ma vie s’était transformée : des com­mu­nautés s’étaient constituées, nous nous consacrions à la prière et à la méditation des Écritures. À ce moment, le message d’Osée m’a saisi et j’ai reçu l’appel de Dieu.
- Chaque fois que tu me parles d’Osée, je suis trou­blée. J’ai peur que tu ne m’idéalises sous les traits de Ruchama.
- Bien sûr, Maria ! Le message d’Osée répondait aux interrogations de mon désir, mais Ruchama n’aurait pu avoir un sens pour moi si je n’avais pas déjà dé­si­ré une femme, dont elle était l’image idéale.
- Rabboni, je suis heureuse ! Cela signifie que tu m’as aimée avant de connaître Ruchama !
Maria, ma bien-aimée, je t’ai parlé tout à l’heure de l’homme originel, sujet du désir qui est au fond de nous-mêmes ; par le désir, tout ce qui nous advient existait déjà en nous, comme projet, comme imagi­naire. Le conte précède l’histoire, or nous sommes poètes et notre vie s’inscrit dans une succession d’ima­ges avant de devenir réalité. Au désert, j’éprou­vais le besoin de parler à quelqu’un... même les rares animaux fuyaient ma présence. Pourquoi être doué de parole, si personne n’entend ni ne répond ? Sur ma peau desséchée, j’ai désiré la caresse amoureuse d’une main ; sur mes lèvres arides, le baiser d’une bouche fraîche. Aucune flaque d’eau pour me ren­voyer un visage humain, j’étais Adam avant qu’il ne connût Ève. La femme éveillait mon désir comme la lumière de l’étoile du matin. Elle m’est devenue fa­milière, j’ai imaginé son visage, lui ai donné vie et fait place auprès de moi, elle est devenue un personnage de ce conte qui précède l’histoire. C’est toi que j’ai créée, Maria, tu étais avec moi avant que tes yeux m’aient charmé.
- Où étais-je, quand tu m’as créée et aimée de loin ?
- Tu en demandes beaucoup ! Sans doute aussi au dé­sert, en train d’écrire ton conte.
- Oui, j’étais dans un désert avec les ombres d’hom­mes morts qui m’avaient aimée ; mes angoisses pre­naient la forme des fantômes de mon père et de ma mère. Je n’existais aussi que par la force de mon dé­sir et imaginais mon histoire d’amour, œuvre toujours inachevée !
- Voilà pourquoi notre amour est antérieur à la dé­couverte du message d’Osée. Nous nous sommes reconnus en Ammi et Ruchama parce que notre ima­ginaire nous avait créés comme Ammi et Ruchama ! Ces personnages que nous avions imaginés figuraient l’acte par lequel Dieu nous créait. Notre désir rejoint le désir de Dieu.
- Tout cela me donne le vertige ! Si le désir de Dieu rejoint le nôtre et constitue la trame de notre imagi­naire, qui donc est Dieu et qui sommes-nous ? Où est le livre des Écritures, et qu’est-ce que la vie ?


DÉSERT

Sur ta chair sablonnée,
je reconnus les traces du
désert.
Tu tâtonnais comme un aveugle,
ton regard arraché par le
soleil.
Battus, endurcis par le vent,
tes cheveux descendaient, grumeleux,
sur tes épaules.
L’haleine sifflait de tes lèvres
devenues de métal,
alors que le bronze brillait
sur ta poitrine en cuirasse.
On aurait dit que l’image d’homme
s’était détachée de ton visage
pour t’abandonner à l’effritement,
à l’embrasement,
au durcissement du temps.
S’était-elle envolée pour rejoindre le moi,
que tu cherchais
depuis ta naissance ?
Car tu as marché en reculant
sur le chemin des âges,
ta peau se teintant de fer, de bronze,
d’argent et d’or enfin,
comme la glaise du commencement
avant que tu ne fus,
celle dont Dieu te forma
à Son image.

Arrête-toi, homme,
car tu es parvenu au seuil de l’éternel,
où naît l’humain.
C’est moi qui possède ton image :
je l’ai vue comme une lueur
sur la source qui jaillit dans mon âme
et je l’ai ravie du regard.
Voici, je te fixe dans les yeux
et ils recouvrent la vue.
Je frôle tes lèvres du doigt
et elles s’enflamment.
Ta peau s’assouplit aux caresses de ma
[main,    
embaumée de myrrhe.
L’image d’homme,
celle que la crèche avait voilée
et que la Loi avait arrachée de ton visage,
revient à toi,
rayonnante de Dieu.
Tu es à nouveau âme vivante
et tu parles,
tu souris au toucher de mes baisers.
J’humecterai tes lèvres de lait,
je te donnerai à goûter du miel,
le lait qui coule dans la terre promise,
le miel qui ruisselle dans mon jardin de
[Mag­dala.     
Car j’engendre en toi l’humain de mes
[yeux,     
avant de le recevoir de toi dans mon sein,
moi, Maria, l’aimée.




Roman achevé en 2002




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t320420 : 10/05/2020