ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 11 - La Dédicace :

La purification du temple



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace
- La montée à Jérusalem
- La purification du temple
- Le règlement de comptes
- La libération

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs

.....................................

u matin, nous sommes allés en ville par petits grou­pes. Nous devions suivre Jésus et être là quand il s’a­dresserait au peuple, pour l’épauler de nos voix et de nos applaudissements. Jésus avait confié à d’au­tres la tâche de renverser les guichets de change et de li­bé­rer les animaux de leurs cages et de leurs enclos, dès que la trompette aurait donné le signal. Nous étions inquiets mais bien décidés, car nous avions été scan­da­lisés, la veille, en voyant le temple ainsi souil­lé. Nous nous sommes tous retrouvés sur le parvis au moment où Jésus s’adressait aux pèlerins :
- Pourquoi sommes-nous venus ici, pleins de joie et chantant des psaumes ? N’est-ce pas pour célébrer le jour où le temple a été purifié du sacrilège commis par les païens ? Mes frères ! Que voyez-vous ? Est-ce digne de la maison de Dieu ? Elle est devenue un marché, un lieu de trafic, pire, un abattoir. Et par qui est-elle ainsi souillée ? Par les Romains ? Non, ils se tiennent hors du parvis, car ils se sont eux-mêmes in­ter­dit de pénétrer jamais dans les lieux saints. Le tem­ple est profané par ceux à qui Dieu a confié la charge d’en garantir la sainteté : par les prêtres ! Som­mes-nous venus ici pour acheter et vendre, pour tuer des animaux et les faire rôtir, ou pour prier et adorer Dieu ?
Le temple est une maison de prière, qu’il soit puri­fié ! Avons-nous crié.
- Que dis-tu, GGaliléen ? a protesté un auditeur. Sans doute viens-tu ici pour la première fois, car tu as l’air d’ignorer ce qu’on doit y accomplir. Le temple n’est-il pas le lieu où l’on sacrifie pour nos péchés ? Com­ment obtenir le pardon si nous manquons de mou­tons, de colombes et de bœufs à immoler ? Tu me diras qu’on pourrait parquer ailleurs ces animaux, mais n’est-il pas plus commode de trouver les vic­ti­mes sur place ? En as-tu amené toi-même ?
- Je suis venu sans aucun animal, et je n’ai pas l’in­tention d’en acheter, car je sais que Dieu accordera le pardon de mes péchés grâce au sacrifice de mon cœur, non pour le sang d’un animal. Notre Dieu est-il un dévoreur de viande et un buveur de sang, pour que nous soyons tenus de Lui sacrifier des pigeons et des moutons ? Ô toi, qui sembles bien connaître les pra­tiques du temple, tu ignores la parole des pro­phètes. Sais-tu ce que dit Dieu des holocaustes ? « Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sa­cri­fices ? Je ne prends point plaisir au sang des tau­reaux, des brebis et des boucs. Quand vous venez vous présen­ter devant moi, qui vous demande de sou­il­ler mes par­vis ? Cessez de m’apporter de vai­nes offrandes : j’ai en horreur l’encens, les nou­vel­les lunes, les sab­bats et les assemblées... Lavez-vous, purifiez-vous, cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, recherchez la justice, protégez les opprimés, faites droit à l’orphelin, défendez la veu­ve : vos péchés deviendront blancs comme la neige, même s’ils sont rouges comme le sang ! S’ils sont de pourpre, ils deviendront comme la laine ! » Ainsi a parlé Dieu, par la bouche du prophète Isaïe.
Le temple est souillé, purifions-le ! Avons-nous crié de nouveau. Transformons ce fondouk en maison de prières !
- Mais si le temple est aussi souillé que tu le dis, pour­quoi Dieu y reste-t-il ? a protesté un autre pè­le­rin.
Dieu n’y demeure plus, depuis qu’Il a quitté notre pays pour retourner dans le désert, selon la parole du prophète Osée. Il est parti parce qu’Il s’est lassé de nous, de nos cultes, de nos traditions, de notre atta­chement à la race.
- Que dis-tu ? Dieu n’est plus dans le temple ? Le tem­ple ne renferme-t-il plus le Saint des Saints ?
- Le Saint des Saints est vide ! Dieu ne s’y rend que si nous le recherchons en esprit et en vérité. L’Éter­nel n’est pas un Moloch qui a besoin de boire le sang des animaux pour remplacer le sang humain.
- Ça suffit ! Tu vas trop loin, Galiléen !
- Il a raison ! ont crié certains, mais nous avons cou­vert toutes leurs voix :
- Hosanna ! Hosanna ! Purifions le temple du sang des animaux ! Offrons à Dieu le sacrifice du cœur ! Hosanna ! Hosanna !
- Si Dieu ne réside plus dans le temple, à quoi bon le purifier ? Ne vaut-il pas mieux aller dans le désert, où Il demeurait avant de venir habiter chez nous ? a de­mandé un pèlerin.
- Je viens justement du désert, où Dieu a fait de moi un prophète pour annoncer sa venue. Jean et moi, nous avons été envoyés pour préparer le cœur des hommes à ce retour, lui par la réconciliation, moi par le discernement et la purification. Je suis l’ange de l’alliance, comme Jean a été l’ange de la procla­ma­tion et de la repentance.
- Mais nous vivons déjà dans l’alliance de Dieu ?
- Oui, sans doute, mais cette alliance est caduque, car Dieu veut accomplir la prophétie d’Osée : ses noces d’amour avec son peuple. Dieu aime son peuple, com­me l’homme aime la femme qu’il épouse. Pré­parez-vous donc à la rencontre avec Dieu ; purifiez le lieu où Dieu veut célébrer ses noces.
- Si Dieu doit venir, qu’il le fasse donc ! Alors, nous nous mettrons à son service pour la purification !
- Vous laisseriez venir Dieu dans ce lieu souillé et répugnant dont l’odeur le rebute ? Non, mes frères, nous devons au préalable nettoyer la place : c’est le signe qu’Il attend de nous. Que ce lieu soit rendu di­gne de lui ! Une fois la purification accomplie, que les fils d’Israël s’assemblent pour que Dieu recon­naisse son peuple, et que les filles d’Israël s’offrent à Lui comme épouses.
- Le Seigneur est notre amour ! Suivez-nous, frères, purifions le temple ! Avons-nous ponctué fermement.


Une trompette a alors retenti, et nous nous sommes rapprochés des marchands. Parvenu auprès des ven­deurs de pigeons, Jésus leur a dit : « Ramenez ces bêtes innocentes dans la cour des maisons où vous les avez prises. Ne faites pas d’un symbole de paix et d’amour un instrument sanguinaire ». Devant le refus des vendeurs, les disciples ont brandi leurs bâtons, tandis que quelques sympathisants tiraient leurs épées. Les vendeurs, effrayés, se sont hâtés de reti­rer les cages. Dans la panique quelques-unes se sont ouvertes et des pigeons se sont échappés vers les corniches et le toit du temple. « Regardez, disait Jésus, n’a-t-il pas belle allure, le vol de ces pigeons annonçant la paix et l’amour ? »

   Jésus se montra plus dur avec les changeurs de monnaie : « Faut-il donc payer, pour obtenir le par­don des péchés ? Les prêtres tirent donc profit de l’affliction des gens et du pardon de Dieu ? Quelle imagination ont-ils dû déployer pour faire cohabiter le profit et la purification ! Ôtez vos baraques ! Le Dieu qui réside ici n’est pas Mammon, mais le Créateur du ciel et de la terre ! Allez plutôt au marché, dans la de­meure de Pilate, ou dans celle d’Hérode ! » Et il a dis­persé l’argent et les balances. Les pièces se répan­daient à terre, les changeurs se précipitaient pour les ramasser mais, dans le peuple, c’était à qui parvien­drait à en récupérer le plus possible.

   Aux marchands de parfums, Jésus dit : « Vous al­lez bien loin, pour vous procurer des parfums dont Dieu se détourne. Il est plus facile d’offrir à Dieu de l’encens et de la myrrhe que la piété de son cœur ! »

   Parvenu près de ceux qui faisaient le commerce des moutons, il ordonna : « Renvoyez ces pauvres bêtes dans leurs pâtures. Rappelez-vous le prophète Jérémie : " Vous avez transformé la maison de pri­ère en une caverne de voleurs " ! Mais eux aussi ne se décidèrent à s’enfuir avec leurs bêtes que sous la menace. Bien des moutons s’échappèrent, accrois­sant le tumulte. Provoquant la curiosité et l’amuse­ment, ils erraient sur le parvis transformé en kermes­se, où les cris des marchands se mêlaient au chant des psaumes, où des hommes venus pour se purifier côtoyaient des voleurs, ravis de profiter si aisément de la grâce de Dieu !


Ayant ainsi ordonné la purification des lieux, Jésus entra dans le temple.
- Arrêtez ! Commanda-t-il aux prêtres qui transpor­taient des vases. Purifiez tous ces ustensiles du sang qui les a souillés ! Penchez-vous sur le cœur des hom­mes, au lieu de vous courber sur le cou sanglant des animaux. Arrêtez, prêtres, vos carnages ; cessez de répandre vos fumées d’encens, car Dieu a en horreur les sacrifices, et il abhorre les parfums que l’on substitue à l’affection.
- Par quelle autorité donnes-tu des ordres et profa­nes-tu le temple de Dieu, en détruisant l’ordre établi par la Loi ? demandèrent les prêtres sans se laisser démonter.
- Par la même autorité que celle de Jean, qui vous a purifiés par le baptême d’eau : nous avons reçu la vocation prophétique du même oracle que Dieu adres­sa à Malachie, nous sommes les anges de sa venue ! Lui, l’ange de la réconciliation, moi celui de l’alliance. Jean vous a baptisés d’eau, moi je vous annonce le baptême par le feu. Si vous souhaitez être de fidèles ministres de Dieu, acceptez d’être purifiés par ce baptême, comme l’or et l’argent le sont par le feu.


Pendant ce temps les grands prêtres, ayant entendu le tumulte et croyant qu’il s’agissait d’une révolte con­tre le pouvoir de l’État, firent appel aux Romains, dont la cohorte se trouvait à proximité. Bien que les soldats se soient bornés à circonscrire l’émeute sans pénétrer sur le parvis, ils avaient suscité une telle frayeur que tout le peuple s’était enfui. Les soldats durent bien rire de cette débandade, qui n’empêchait pas chacun de serrer dans ses mains qui un pigeon, qui quelque monnaie, qui une fiole de parfum, sans oublier ceux qui avaient chargé un mouton sur leurs épaules.

   Les gardiens du temple purent ainsi redevenir maî­tres de la situation, s’emparant de ceux qui n’avaient pas eu le temps de s’échapper. Jésus et quelques-uns des plus engagés de ses sympathisants furent de ceux-là ! Salomé et moi, en train de nettoyer le par­vis, avons juste eu le temps de nous cacher dans un coin. Nous avons aperçu Jésus, mains liées et corde au cou, entraîné par des gendarmes avec d’autres prisonniers. Il avait été appréhendé comme un mal­faiteur, lui qui était venu au temple pour le purifier des voleurs ! Nous avons fondu en larmes et nous sommes enfuies vers Béthanie.


Nous y sommes parvenues très tard, fatiguées, en­gourdies de froid, les yeux rougis par les larmes. Oh ma robe blanche de mariée ! J’eus l’impression que Ruchama avait retiré de mon visage le masque grâce auquel j’avais eu l’audace de me présenter devant la foule. J’étais redevenue ce que j’étais, une femme du commun : « Ruchama n’a été pour moi qu’un rôle, comme auparavant celui de la femme noble et distin­guée. Si l’image de Ruchama, la femme devenue l’épouse, m’a abandonnée, Jésus n’a pas non plus conservé celle d’Ammi, l’homme devenu le peuple. La réalité a brutalement ramené les deux acteurs à leur condition originelle, la représentation prophétique est terminée ! »

   Je ne m’étais pas aperçue que je m’étais exprimée à haute voix. Salomé, qui avait surpris mes paroles, s’approcha et me dit affectueusement :
- Ne t’inquiète pas, Maria. Puisque les Juifs t’ont ar­raché le masque de Ruchama, qu’ils le gardent ! Crois-tu que Jésus et toi n’avez plus de rôle à jouer dans le monde, sans le masque de ces personnages ? A-t-on besoin d’un autre nom, quand on s’appelle Maria et Jésus ?
Salomé, il s’agit de la parabole...
- Certes, mais la réalité de la vie déborde parfois la signification de la parabole ; celle-ci s’envole alors, comme un papillon !

   Ces paroles me permirent de me ressaisir. Rucha­ma et Ammi n’étaient qu’un jeu ! En réalité, je suis Maria et il est Jésus ! C’est à travers ces noms que nous nous sommes reconnus au puits d’Agar, lors de notre première rencontre. Nous étions en terre d’Is­raël, mais nos noms nous transportaient ailleurs, en Égypte. Ma vie n’est pas tant l’histoire de la signi­fication de Ruchama que de celle de Maria. Soucieu­se de découvrir cette histoire, j’ai entrepris de me remémorer mon existence : c’est bien celle d’une fem­me du nom de Maria, l’aimée, une histoire d’amour !




Roman achevé en 2002




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t321141 : 02/10/2020