Présomption d’une trahison simulée dans le récit de la cène

   Dans le récit de la Cène, nous avons relevé une aporie entre l’annonce par Jésus de la trahison de Judas et le comportement des disciples.
   Dans les synoptiques, cette annonce surprend et trouble les disciples, pourtant ceux-ci ne manifestent aucune réaction. Tout se passe comme si cette trahison ne les concernait pas. Dans le quatrième évangile, l’annonce est plus précise et individualisée, mais les disciples restent passifs, et même ils ne comprennent pas.

   La réponse générale, donnée précédemment, affirmait que l’annonce n’a pas eu lieu, car elle ne pouvait être motivée que par un argument christologique extrait du psaume 41. Ce récit a été construit à partir de l’a priori de l’interprétation messianique de l’Écriture. C’est pourquoi, l’articulation du sens aurait dû être linéaire et sans rupture. Or le récit présente une rupture là où surgit un discours qui s’oppose à son sens. Jésus parle et les disciples sont troublés et émus, mais ils ne comprennent pas ce qu’il dit. Pourquoi, alors qu’ils en sont les témoins ?

   Le récit présente deux niveaux de référence : l’une porte sur l’interprétation messianique du psaume 41, l’autre, sur des réminiscences de la nuit de la cène. De quoi les disciples se sont-ils souvenus ? Non de l’annonce de la trahison de Judas, mais des paroles sur la trahison qui, à la suite de l’ordonnance du Sanhédrin de dénoncer Jésus, constituait le problème le plus angoissant du moment. Or ces paroles provenaient de Jésus et de Judas, accoutumés à converser entre eux... Mais que pouvaient-ils bien se dire tous deux à propos de la trahison ?