Le suicide de Judas :
une accusation
En témoignant de son innocence et de celle de
Jésus, la mort de
Judas se dressait aussi en accusation contre ceux qui l’avaient jugé responsable par traîtrise, de la mort de son maître.
Contre les
sacrificateurs qui, par leur ordonnance, avaient rendue obligatoire en conscience cette trahison, et avaient fait condamner
Jésus à mort. Contre ses
condisciples, qui avaient exploité cette trahison par méprise pour se dédouaner de leur lâcheté envers leur maître, ainsi que de leur reniement et de leur scandale. Contre quiconque aurait pris prétexte de son erreur comme alibi de sa propre responsabilité. Même s’ils n’avaient pas trahi
Jésus, ils avaient rejeté son « compagnon ».
Mort pour se libérer, pour témoigner ou pour accuser, en cela
Judas est-il parvenu à son but ? Si on interroge les
évangélistes, on peut en douter.
Afin que le suicide de
Judas ne soit pas vu comme le témoignage de son innocence,
Matthieu en fait l’aveu de sa culpabilité.
Judas est un traître repenti, qui s’avoue coupable, il n’y a aucun doute sur sa trahison.
Luc, par contre, rejette et fait mourir
Judas par un événement qu’on dirait « surnaturel », signe de l’intervention de la justice de
Dieu. Les textes évangéliques invoquent donc deux témoins de la trahison de
Judas : Judas lui-même et
Dieu.
Cependant,
Matthieu s’est vu contraint de faire de
Judas un repenti en quête d’un pardon impossible, et il a donné une limite à l’amour de
Dieu et de son
Fils
Sauveur, dont la Rédemption est mise en échec par la trahison de
Judas. Quant à
Luc, il ne semble pas s’apercevoir qu’il charge
Pierre du rejet de
l’apôtre traître, au moment où celui-ci proclame que
Dieu a «
fait et déclaré Jésus Christ », au moment même où le
Christ envoie son
Esprit pour annoncer aux hommes le pardon obtenu par sa mort.
Comment le lecteur pourrait-il croire que
Jésus est le
Christ
Sauveur, s’il se montre impuissant à pardonner ce péché – la trahison de
Judas – qui lui a permis de sauver le monde ?
Judas serait ainsi un homme maudit, frappé dès sa naissance d’une malédiction à laquelle il n’a pas pu échapper. Il a été traître, non seulement parce qu’il l’était dans l’intérêt de certains, mais surtout parce que
Dieu le voulait ainsi. Les
évangélistes l’ont cru. Peut-être
Judas en a-t-il été convaincu, lui-même, en découvrant sa traîtrise « au hasard » de la coïncidence d’événements liés à la volonté divine. Si cela était, la mort de
Judas serait aussi la libération de la malédiction, le témoignage de son innocence, enfin la contestation du
Dieu de la Loi qui l’avait prédestiné à tomber dans le piège du « hasard ».