Le suicide de Judas

   On ne doit pas croire que Judas se serait suicidé par désespoir sur un coup de folie, victime du tragique qui l’aurait poussé dans une contradiction intenable vis-à-vis de lui-même et des autres.
   S’il est réel qu’il lui était devenu impossible de vivre selon la vérité de sa conscience et d’être reconnu, il ne pouvait pas se résigner à en devenir la victime. La persévérance avec laquelle il a servi son maître, défiant le déshonneur et la mort, montre que son âme ne connaissait ni la lâcheté ni la résignation.

   Il faut alors admettre qu’il s’est suicidé afin d’échapper à l’absurdité de son existence, et parce qu’il refusait de vivre en acteur du drame de la trahison qui dissimulait la vérité de son être. Judas s’est tué pour se libérer du mensonge : incapable de manifester la vérité de son être par la parole ou par les actes, il l’a exprimée par sa mort.
   Rien en l’homme n’est plus proche de la vérité de l’être que la mort. Le suicide de Judas ne fut pas la suite d’une folie mais la conséquence d’une conscience délibérée, non un suicide de déraison, mais un suicide de raison.