Les motivations historiques :
Ruth
Nous connaissons l’histoire de
Ruth par le récit biblique qui porte son nom. C’était une femme
moabite, mariée à
Kylion, fils d’
Élimélek et de
Noémie. Devenue veuve, elle retourna avec sa belle-mère à
Bethléem, pays d’origine de son beau-père. Sur le conseil de
Noémie elle tenta de séduire
Booz, parent de son défunt mari, afin de devenir sa femme par droit de lévirat. Cependant
Booz ne la prit pour femme qu’après qu’un autre parent, plus proche que lui dans la lignée de la génération, eut renoncé à son droit de rachat. De l’union de
Booz et de
Ruth naquit
Obed, ancêtre de
David.
Afin que
Booz la prenne pour femme,
Noémie conseille à
sa belle-fille de le séduire en se couchant à ses pieds pendant qu’il dort. Ce faisant,
Ruth accomplit un acte répréhensible selon la loi : elle se comporte en prostituée, de la même façon que
Tamar, à ceci près que celle-ci s’était exposée en public. Si
Booz ne profite pas d’elle, le mérite lui en revient, et non à
Ruth. D’ailleurs
Booz, en la faisant rentrer chez elle avant le point du jour, n’a d’autre souci que de lui éviter d’être considérée comme une prostituée.
Il faut ajouter que la position de
Ruth n’est pas très claire à l’issue du récit, son mariage avec
Booz ne restant pas dans les limites strictes du lévirat, au nom duquel il a été contracté. Son enfant,
Obed, au lieu d’être inscrit dans la généalogie du défunt, est considéré par le récit comme faisant partie de la généalogie de
Booz. Ainsi
Obed ne prolongeait-il pas la génération d’
Élimélek, mais celle de son père réel.
Consommée hors du statut du lévirat, l’union de
Ruth et de
Booz apparaît donc moins comme un mariage légitime que comme un concubinage teinté d’inceste. Peut-être
Ruth est-elle appelée à réaliser dans le récit la substitution du clan de
Booz à celui d’
Élimélek dans la prétention au royaume davidique ; pour une telle substitution, le statut du lévirat s’offrait comme un mécanisme idéal. Mais la base du récit résiste à ce mécanisme, l’héroïne est moins une veuve rachetée qu’une femme qui n’a pas honte de s’exposer pour être recouverte du « manteau » d’un de ses parents.
En mettant en parallèle
Marie et
Ruth,
Matthieu nous permet de supposer que l’histoire de la première est semblable à celle de la seconde. On peut globalement affirmer que les deux héroïnes résistent au rôle que les récits prétendent leur faire jouer.
Plus précisément, les deux histoires se rencontrent en ceci :
- De même que
Ruth est épouse de
Booz par droit de lévirat,
Marie est épouse de
Joseph par droit de promesse.
-
Obed, l’enfant de
Ruth, ne peut être inscrit dans la généalogie de
Booz qu’à la suite d’une transgression du lévirat.
Jésus, l’enfant de
Marie, ne peut faire partie de la généalogie de
Joseph que par une transgression de la promesse de mariage.
- Les deux récits le justifient en supposant une intention arrêtée de
Dieu, afin que
Ruth devienne l’ancêtre de
David et
Marie la mère du
fils messianique de
David.
- Par-delà cette justification de caractère dynastique et théologique,
les deux femmes restent connotées par le dépassement du statut de leur mariage. À ce niveau elles apparaissent comme des femmes prostituées :
Ruth parce qu’elle s’unit à
Booz au-delà des limites que lui impose le lévirat,
Marie parce qu’elle donne à
Joseph un fils qu’il ne peut reconnaître que par adoption. Mais, puisqu’en considérant ces limites on doit dire que
Ruth a commis un inceste, peut-on formuler la même accusation contre
Marie ?