ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 19 - Le tombeau vide :

Ne me touche pas



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664 





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide
- On l’a dérobé !
- Ne me touche pas
- Ressuscité en esprit
- Le jugement de Maria
- La myrrhephore pénitente

Les semeurs


’étais dans la chambre, attendant Jésus qui était des­cendu au jardin. Ne le voyant pas revenir, je m’y suis rendue à mon tour : « Peut-être le trouverai-je parmi les lis, où il aime se détendre ». À ma grande surpri­se, ce n’était plus le jardin que je connaissais : il était si vaste que je ne pouvais en apercevoir les clôtures et que les plates-bandes avaient fait place à des prai­ries, avec des sentiers et des ruisseaux. « Voilà pour­quoi Jésus s’est égaré ! » Je me suis mi­se à le recher­cher sous les arbres et dans les endroits dissimulés. Je m’arrêtais ici ou là, au bord des ruis­seaux, sous les sycomores, dans les champs de lis... en vain !
   Épuisée, je me suis assise près d’une source, espé­rant que, s’il avait soif, il viendrait s’y désaltérer. Je ne parvenais pas à contenir mes larmes, laissant de temps à autre mon regard courir autour de moi. Sou­dain j’aperçus un homme ; il avançait, anxieux com­me s’il recherchait quelqu’un ou quelque chose. Il vint vers moi et, me voyant en pleurs, me demanda :
- Ma fille, pourquoi pleures-tu ?
- J’ai perdu mon époux. Ce jardin est si grand qu’il a dû s’égarer ! Ami, tu sembles bien connaître ces lieux, je t’en prie, préviens-moi si par chance tu le dé­couvres.
- Volontiers, ma belle amie, mais comment le recon­naître, alors que je ne l’ai jamais vu ?
- Mon bien-aimé est blanc et vermeil,
« il se distingue entre mille.
« Sa tête est d’or pur,
« ses boucles flottantes.
« Ses yeux sont comme des colombes
« au bord du ruisseau,
« ses joues comme un parterre d’aromates ;
« ses lèvres sont des lis
« d’où s’écoule la myrrhe ;
« Ses mains des anneaux d’or
« sertis de chrysolithes ;
« Son corps est d’ivoire poli
« couvert de saphirs ;
« Son palais n’est que douceur
« et toute sa personne pleine de charme.
« Tel est mon bien-aimé.
- Ma fille, je crois que je le reconnaîtrai. Reste près de la source ; si je le retrouve, je reviendrai vers toi.
- Mais toi, que cherches-tu ?
- Je cherche mon épouse. Elle m’a supplié de la lais­ser descendre au jardin, mais elle s’est égarée. Sois gentille, retiens-la près de toi, si par chance elle passe par ici.
- Volontiers, ami ! Mais, à mon tour, comment pour­rai-je la reconnaître ?
- Mon amie est très belle :
« Ses yeux sont des colombes, derrière leur voile.
« Ses cheveux sont comme un troupeau de chèvres
« suspendu aux flancs de la montagne de Galaad.
« Ses dents sont comme un troupeau de brebis ton­dues
« qui remontent de l’abreuvoir.
« Ses lèvres sont cramoisies
« et sa bouche pleine de charme.
« Sa joue est comme une demi-grenade,
« ses deux seins comme les jumeaux d’une gazelle
« qui naissent au milieu des lis.
« Son nom résonne comme amour,
« dans le pays que notre peuple a quitté
« pour venir dans la terre promise.


À ces dernières paroles, j’ai compris que celui qui par­lait était Jésus lui-même. Qui d’autre aurait pu de­viner le secret de mon nom ? Je me suis alors jetée à ses pieds en m’écriant : « Rabboni ! » Mais il s’est reculé :
- Ne me touche pas, car je vis en esprit. En m’em­brassant, tu ne saisirais que ton propre corps et la vi­sion s’évanouirait.
- Où as-tu abandonné ton corps ?
- Tu te soucies de mon corps jusqu’à te perdre toi-même, Maria ! Isis a recherché le corps d’Osiris par­ce qu’elle ne parvenait à l’imaginer vivant que res­sus­cité ; mais toi, pourquoi recherches-tu mon corps avec la même passion, alors que je demeure vivant dans ton cœur ? Attends que mon corps soit enseveli parmi les morts. Il doit se dissoudre pour revenir aux éléments originels dans lesquels il a été façonné : de la terre et de l’eau, de l’air et du feu.
- Mais toi-même ?
- Mon âme aussi retourne à l’Esprit qui lui a fixé ses limites. Souviens-toi ! Quand tu étais saisie par la nostalgie, ton esprit se tournait vers ton amour loin­tain, tu contemplais le soleil à son coucher. As-tu re­marqué qu’alors les couleurs se détachaient des cho­ses pour se résorber dans la lumière ? Ainsi en est-il de l’âme, quand l’Esprit de Dieu se retire des vivants pour revenir à Lui : ce ne sont plus des images ternes dans des corps opaques, mais des images brillantes dans la lumière.
- Alors, je serai comme une fleur nocturne qui n’at­tend plus l’aube ; ma couleur se sera fondue à jamais dans la lumière.
- À jamais ? Pourquoi ? Le soleil ne réapparaît-il pas chaque matin pour répandre sa lumière et dispenser à nouveau les couleurs ? Si je ne suis plus ton parte­naire en amour, je resterai en toi comme l’inspiration qui t’invitera à l’amour. Vivants ou morts, nous de­meurerons toujours dans l’Esprit de Dieu.
- Mais je t’aime toujours comme mon unique amant, Rabboni, et mon cœur est impatient de s’unir à toi !
- En dirais-tu autant de la fleur qui se tourmente le matin de ne pas briller du même éclat que la veille ? Non, Maria, chaque fleur accueille avec joie la cou­leur qu’elle reçoit du soleil, sans regret de celle qui, la veille, la faisait resplendir. Mon amour te charmera toujours, quand bien même les yeux qui te raviront seront ceux d’un autre : dans son regard, tu redécou­vriras l’attrait même qui t’a fait t’éprendre de moi. Tu es devenue bien curieuse, depuis que ce savant juif t’a ouvert les horizons de la culture grecque ; conser­ve en amour la simplicité des fidèles !
- N’empêche que j’envie le hâle de ta peau et l’ébène éclatant de tes yeux que m’apporterait ce nouveau flux de lumière !
- Va, Maria, retourne à la maison, raconte cette vi­sion à tes frères et dis-leur de ne pas espérer de signe de ma part, car ma mission est accomplie. Désor­mais, ils devront vivre selon l’esprit de la nouvelle alliance d’amour dont mon existence a été la para­bole.
Ils ne m’écouteront pas, Rabboni ! Déjà, le jour de la Pâque, ils attendaient un signe de ta glorification ; ce matin ils l’ont trouvé dans le tombeau vide et ils attendent maintenant ton retour !
- Mon retour ? Pourquoi ? Certainement pas pour pro­clamer la nouvelle alliance d’amour, ou alors je devrais souffrir et mourir une seconde fois pour tirer vengeance de ceux qui ont refusé mon message et m’ont crucifié. Mon retour consacrerait l’échec du message d’amour. Comment les punir sans anéantir les puissances du mal qui les ont poussés à me tuer ? Si je revenais ce serait pour détruire ce monde et ju­ger les hommes, afin que Dieu engendre une nouvelle création. Prophète de l’alliance d’un Dieu d’amour, je deviendrais l’exécuteur de la vengeance d’un Dieu justicier. Après avoir annoncé le retour au temps de la création, j’en proclamerais à présent la fin ! Étran­ge retournement... Ma mort a provoqué un tel scan­dale chez mes disciples qu’ils n’espèrent plus le salut que dans cette croyance étrangère au peuple juif, se­lon laquelle le monde aurait été créé par les puis­sances du mal !

   Jésus se mit à contempler le ciel et la terre. Son visage resplendissait et ses yeux rayonnaient ; sa tuni­que était plus blanche que la neige. J’étais en extase, et le fus davantage encore lorsque je vis que toutes choses se projetaient devant moi comme sur une toile : le jour succédait à la nuit étoilée ; les saisons alternaient ; la terre était sillonnée de fleuves et par­courue de montagnes ; les champs verdissaient et fleu­rissaient dans un jeu de lumières et d’ombres ; la mer et les lacs se déployaient comme des miroirs où Dieu contemplait son image ; la lune traversait le ciel en illuminant la nuit, puis le soleil embrasait à nou­veau le jour... J’en fus éblouie.
« Jésus, souviens-toi ! Au puits d’Agar, je m’émer­veillais à tes côtés en voyant le ciel se mirer dans l’eau limpide ; aujourd’hui, je suis comblée de le con­templer au miroir de tes yeux.
« Tu comprends bien que Dieu ne souhaite pas dé­truire ce monde dont la beauté L’a réjoui ! Puis, le­vant son regard vers le ciel : Père, je ne Te deman­de pas de détruire ce monde, mais de le conserver avec le même amour qu’au jour de sa création. Exau­ce les cieux dans leur désir de lumière pour qu’ils comblent la terre, et celle-ci le cœur des hommes par la pureté de ses eaux et l’ardeur de son feu, la trans­parence de son air et la fécondité de son sol. Tu ne peux détruire ce que Tu as toi-même façonné. Oh, le jour où ton Esprit planait sur le chaos bouillonnant ! Ton ap­pro­che engendra l’éclat de la lumière ; les jours se sé­pa­rèrent des nuits, le ciel de la terre et les mers du sol aride ; le désert se transforma en un jar­din, pour offrir une demeure aux hommes et aux ani­maux.
« Pour châtier les hommes, Dieu ferait-Il plonger les étoiles dans l’abîme, après les avoir revêtues de leur éclat pour illuminer les cieux ? Ferait-Il blêmir la lu­ne, comme une lampe privée d’huile, pour que le som­meil des hommes s’achève dans la nuit de la mort ? Transformerait-Il le soleil en flamme ardente pour assécher les mers, incendier les forêts, embraser les récoltes, réduire en cendres animaux et hommes ? Quelle impuissance à aimer ce Dieu manifesterait-Il, par une œuvre d’anéantissement aussi dévastatrice !
« Et vous les humains, qui appelez Dieu à vous re­créer, n’est-il pas ridicule d’imaginer que vous êtes sortis imparfaits de Ses mains ? N’espérez pas un sau­veur qui vous libère de ce monde ci ; efforcez-vous plutôt de vous sauver par vous-mêmes, grâce à l’Esprit de Dieu qui est en vous dès le commence­ment. Ne soyez pas en quête d’un Christ, car vous êtes tous des christs, et vous avez été consacrés par l’Esprit de Dieu.
- Pourtant mes frères vivent dans l’attente du Christ ; ils en ont découvert les signes, qu’ils iront prêcher pour convaincre les hommes, et le Christ que leur parole annoncera portera ton nom, Jésus !
- Certes, il aura mon nom, mais ce Christ-là démen­tira ma personne. Enfant sans père, je deviendrai le fils de Dieu par une génération royale ; amant, on me présentera comme quelqu’un qui n’a pas connu de femme ; serviteur, on fera de moi un conquérant qui distribue aux grands les dépouilles des vaincus ! Je suis venu répandre la bénédiction de Dieu sur tous les hommes, mais seuls ceux qui croiraient à mes pa­ro­les seraient bénis, et maudits tous les autres ! Moi qui ai rendu la vue aux aveugles, j’arracherais le regard des voyants ; moi qui ai remis sur pieds les malades, je rendrais débiles les bien-portants ! Jeté dans les chaînes, je livrerais les hommes à la prison ; endurci par la souffrance, je me soulagerais en fai­sant souffrir ; bafoué, condamné, mis à mort, je me glorifierais de bafouer, de condamner et de livrer à la mort mon prochain ! Curieux personnage, ce sauveur qui retournerait parmi les hommes donner la mort aux pécheurs pour lesquels il a donné sa vie. Mes en­nemis m’ont donc refusé la sépulture pour me laisser enseveli à jamais dans l’histoire sous l’effigie d’un dieu vengeur !

   Tandis qu’il terminait ces paroles, il m’a semblé qu’il pleurait ; puis il s’en est allé, comme une ombre absorbée par la lumière. Je m’efforçais de le suivre, mais cette lumière m’avait tant éblouie qu’elle me ré­veilla. Je n’étais plus au jardin de mon rêve, mais à l’intérieur du tombeau, comme descendue au séjour des morts. Je me suis mise à enduire la dalle de bau­me, comme si c’était le corps de Jésus, et je laissai s’épancher ma dernière lamentation.

Je répands sur cette dalle le nard
dont j’avais oint le corps de Jésus
de ma main d’épouse.
Efface, baume, les taches de sang,
dissipe les empreintes des blessures
qui l’ont meurtri,
assèche la sueur qui a distillé
de sa peau flétrie.
Et tandis que ton huile attendrit
la dureté de la pierre,
que ton parfum exhale pour émouvoir
les cœurs que la souffrance a endurcis,
et apitoyer ceux que la haine a pétrifiés.

Ô vous qui franchissez le seuil de ce sé-

   Je me suis relevée. Mon voile rabattu jusqu’aux genoux, j’ai quitté le tombeau.




Roman achevé en 2002




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