ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
![]() |
Ennio FlorisChronique de Marie-MadeleineRoman |
Chapitre 19 - Le tombeau vide : |
Présentation Texte intégral : La rencontre d’amour Les disciples du Royaume Le banquet des noces Itinéraire d’un bâtard Le défi La fugue Sur le pont du bateau Chemins d’amour Dalmanutha Transfiguration et insurrection La Dédicace Correspondances Béthanie Gethsémani Le procès Golgotha L’enterrement Le jour de la Pâque Le tombeau vide - On l’a dérobé ! - Ne me touche pas - Ressuscité en esprit - Le jugement de Maria - La myrrhephore pénitente Les semeurs ..................................... |
alomé, nous avons été renvoyées à notre solitude ! Salomé m’a aidée à m’étendre sur des coussins, a déposé un baiser sur mon front et m’a quittée. « Elle est merveilleuse, elle parvient sur le champ à prendre ses distances avec ce qui la chagrine, attirée par le bonheur comme une abeille par le parfum d’une fleur ». Je l’accompagnais en imagination sur le chemin qui l’amenait chez Simon et Joseph mais n’arrivais pas à chasser l’image que Jacques avait donnée de moi : je n’étais que Gomer ! Jacques s’était toujours montré réservé, mais jamais je n’aurais imaginé que son aversion atteindrait un tel paroxysme. Je l’avais rencontré la première fois à Capharnaüm, où il s’était rendu avec ses frères et Maria pour ramener chez eux Jésus qu’ils croyaient fou. Petit, trapu, le regard sévère, il se montrait quelque peu misanthrope et méfiant à l’égard de tout acte ou de toute parole qui l’auraient écarté du respect de la Loi. À ma grande surprise, il s’était mis à nous fréquenter et même, plus tard, à faire partie de la suite de Jésus. Il m’avait toujours manifesté du respect, mais je n’avais jamais eu avec lui de conversation intime, que d’ailleurs il semblait redouter... Pour être franche, je dois reconnaître que je ne l’avais jamais vraiment souhaité. Aussi n’avais-je jamais su ce qu’il pensait de mon mariage avec son frère. À présent tout était clair : pour lui mon mariage avec Jésus n’était que la répétition de celui d’Osée et de Gomer. Je n’étais ni Ruchama, ni même Lo-Ruchama, mais Gomer, la prostituée à qui Jésus s’était lié pour confirmer l’infidélité d’Israël ! Les autres disciples, écartelés entre leur dévouement envers Jésus et leur attachement à la Loi, remuaient sans doute les mêmes pensées. Ils avaient dû faire violence à leurs sentiments pour reconnaître ma fonction dans la prédication du message de Jésus, mon rôle de « myrrhephore », de femme porteuse de la myrrhe, d’allégorie de sa mort. Je me suis assoupie. En rêve, serrant toujours le vase d’albâtre dans mes bras, j’accompagnais Céphas et les autres qui annonçaient la parole. J’entendais Céphas dire : « Le jour du Seigneur viendra comme un voleur. Alors les cieux passeront avec fracas, les éléments embrasés du monde se dissoudront, la terre et les œuvres qu’elle renferme seront consumées. Le Christ, que vous avez espéré ou craint, viendra à l’instant juger les vivants et les morts ». Une grande foule l’écoutait ; des hommes et des femmes se mirent à le suivre, les femmes à sa gauche, voilées et en larmes, les hommes à sa droite, se frappant la poitrine et déchirant leurs vêtements. Céphas continuait : « Femmes, que chacune de vous se soumette à son mari ! Ne revêtez pas la parure de cheveux tressés, d’ornements d’or et d’habits précieux, mais celle, cachée et intime, de votre cœur ». Et, se tournant vers les hommes : « Frères, montrez de la sagesse dans vos rapports avec vos femmes comme avec un sexe plus faible : honorez-les, car elles doivent hériter avec vous la grâce de la vie. Soyez soumis, à cause du Seigneur, à toute autorité établie parmi les hommes, au roi comme au souverain, au gouverneur comme à ceux qu’il envoie. Craignez Dieu, honorez le roi ! » J’étais parmi ces hommes et ces femmes, toute nue, recouverte seulement par mes cheveux, qui descendaient jusqu’aux pieds. J’avançais, avec mon baume, les yeux vers le ciel. Une voix déclarait : « Frères et sœurs, voyez la Madeleine pénitente dont Jésus a chassé les sept démons qui tentent et souillent la femme depuis les origines : la séduction et la prostitution, l’envie et la jalousie, la cupidité et la vanité, le plaisir de la chair. Ce baume est celui qu’elle a répandu sur le corps de notre Seigneur, en signe de repentance et pour préfigurer sa mort. » Ces paroles m’ont fortement ébranlée, car la voix avait évité de prononcer mon nom, Maria, « l’aimée » ; elle indiquait seulement mon origine : la prostituée de Magdala, l’image de la femme soumise à la pénitence en vue de son salut. Mes mains tremblaient ; des gouttes de myrrhe coulaient sur mes doigts. En voulant retenir le couvercle du vase, j’ai secoué mes cheveux et mes seins sont apparus dans la lumière. Prenant le vase de la main gauche, j’essayais de maîtriser mes cheveux de la droite, mais ils découvraient d’autres parties de mon corps, mes cuisses et mes hanches. Dans ma confusion, je ne savais quelle attitude adopter. Je sentais des regards voraces m’assaillir, les femmes se détournaient avec mépris : « C’est honteux ! Ce ne sera toujours qu’une pute ! » Les hommes m’épiaient, lubriques, dans l’espoir de surprendre ma nudité. Jacques vint vers moi et me lança, outré : « Femme, tu ne peux pas porter ce baume de repentir sans reconnaître publiquement tes péchés. Ah, c’est vrai ! Le Seigneur, pour t’éprouver et nous éprouver nous-mêmes, a laissé en toi le démon du plaisir de la chair. Retire-toi au désert pour échapper au feu de la Géhenne ! Serrant sur ma poitrine le vase de parfum, je me suis enfuie. Tous se tournaient vers moi, hurlant et me lançant des pierres. Parvenue à l’orée du désert j’apercevais, loin derrière, ce long cortège soulevant, comme un troupeau, un épais nuage de poussière. Des voix, mêlées de lamentations, s’en élevaient : « Aie pitié de nous, Seigneur, car nous sommes des pécheurs. Épargne-nous le feu du jugement. »
Tandis que je m’éloignais, ces jérémiades s’estompaient dans le lointain. Où étais-je à présent ? Pas encore au cœur du désert : des touffes d’arbustes s’égayaient sur le sol, des sentiers incertains laissaient encore quelques traces. La terre aride s’étendait au-delà des rochers, sous des plaques de sable et quelques dunes. Je n’éprouvais aucune frayeur, je me sentais même soulagée car j’étais délivrée des regards de mépris et de haine, de ces yeux de chair qui transperçaient mon corps pour surprendre mon intimité. Une pensée me rendit folle de joie : j’étais sans péchés ! Dieu les avait enfouis au plus intime de Lui-même, restant fidèle à l’amour dont Il avait investi sa créature. Radieuse, je me suis mise à danser sans rougir de moi-même. D’où venait cette sensation nouvelle ? Parce que personne ne pouvait me surprendre ? Alors pourquoi, faisant pour la première fois l’amour avec Jésus, avais-je rougi de ma nudité ? Cette sensation devait resurgir du tréfonds de mon être, de la toute première enfance, à la sortie du sein maternel. Me retrouver ainsi en lisière du désert montrerait-il mon retour à la condition originelle de l’existence ? J’avançais en effet, non pas avec la naïveté de l’enfance, mais les yeux émerveillés par les couleurs, un sourire éclatant au bord des lèvres. J’exprimais par un chant les mouvements de mon cœur. Les bruits de la nature et les jeux de la lumière sur les choses éveillaient en moi les émotions les plus subtiles. J’errais sans repères précis, quand un flux de chaleur venu du désert enfiévra le revers de ma main tendue, tandis qu’une brise humide et fraîche venue de la plaine en caressait la paume. Je m’engageais dans le sens de la brise, gravissant de petites dunes, attirée par le bruit de l’eau. Pressant le pas, j’atteignis la rive d’un fleuve qui serpentait parmi les rochers. Un parterre de fleurs s’avançait jusqu’au bord, tandis que des abeilles butinaient dans une ronde bourdonnante. « Des abeilles, les ruches ne sont pas loin ! » En effet, au creux d’une roche, j’en découvris une, gavée de miel. J’en détachai un rayon que je portai à ma bouche. Il était doux, mais un peu âcre et sauvage. Occupées à butiner, les abeilles ne m’ont pas importunée. Après m’être rassasiée, accroupie au bord du fleuve, j’humectai mes lèvres de son eau pure et fraîche, puis me désaltérai avidement. Alors, une envie voluptueuse me prit de plonger dans ce courant, qui emporta la poussière et la sueur qui avaient souillé mon corps. En même temps mon âme paraissait purifiée, elle aussi, car j’étais libérée de toute détresse. Sortie de l’eau, je me suis allongée sur le sable, laissant mes longs cheveux former sous moi un doux coussin. Le soleil chatoyait, faisant étinceler les gouttelettes sur ma peau. Le doute était-il encore permis ? J’étais revenue au moment des origines, à l’instant de la création d’Adam. Comme lui, Dieu m’installait dans un jardin de délices, Il allait ouvrir une nouvelle page de Son Livre. Dans un premier temps, Il avait formé Adam pour en extraire Ève, selon le désir de son rêve ; maintenant, à travers la parabole de ma vie, la femme occupait l’espace et l’homme devenait le fruit de son désir. Ni premier, ni second, l’un et l’autre étaient désormais parfaits dans leur complétude. En cette double page, Dieu modelait l’homme avec la pensée de la femme, et faisait surgir la femme avec le souci de l’homme : l’homme et la femme, double éclat de Son image unique ! Dans leurs fantasmes, l’homme et la femme rêvent l’un de l’autre selon l’image que Dieu s’est faite d’eux au moment de leur création. Je m’observais à travers ce voile. Ma peau, qui avait perdu de sa souplesse et de son éclat, paraissait brillante et légère. Mes seins affaissés avaient retrouvé leur fermeté. Mes hanches ne ressentaient plus les longues marches, ni le poids des corbeilles et des lourdes cruches pleines ; pas encore altérées par les grossesses, elles avaient conservé leur galbe élégant. Mes jambes se dressaient, menues comme des colonnes d’ivoire. Je ne me repentais pas des soins dont j’avais entouré mon corps, au contraire je les trouvais indispensables à maintenir en lui l’image de Dieu. Le désert ne me séquestrait plus : la terre originelle épanouissait mon être. En me submergeant de nouveau de son amour, Dieu m’avait entièrement purifiée. En moi la femme majeure recouvrait son nom, Maria l’aimée, et renaissait de la pécheresse indigne. Un homme, quelque part, pourrait ainsi rêver de moi, puisque Dieu venait de rétablir ma beauté première que je redécouvrais à présent. Mais parviendrait-il à percer l’intimité de mon nom ?
Ainsi défilaient mes pensées, quand une voix me rejoignit : « Maria, Maria ! » Je me réveillai. Salomé se trouvait près de moi. |
t322079 : 02/11/2020