ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 19 - Le tombeau vide :

Le jugement de Maria



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide
- On l’a dérobé !
- Ne me touche pas
- Ressuscité en esprit
- Le jugement de Maria
- La myrrhephore pénitente

Les semeurs


uand je me suis présentée à la réunion, j’ai trouvé les frères assemblés autour de Céphas. Moi, j’ai pris place près de Salomé. Céphas me parut transformé : d’ordinaire débonnaire et enjoué, un rien bouffon, même, il était sérieux, réfléchi, conscient de jouer un rôle qui ne lui revenait pas naturellement. Sans vou­loir être médisante, je remarquai qu’il avait modifié sa coiffure et taillé sa barbe pour se mettre au goût du jour.

- Frères, déclara-t-il solennellement, la découverte du signe dans le tombeau vide m’a bouleversé. Je l’at­tendais depuis notre controverse avec Maria, mais je ne pensais pas que Dieu nous le donnerait si promp­tement. Mettant en doute, de prime abord, l’inter­pré­tation que Jean et moi en avions donnée, j’en ai re­cher­ché le véritable sens dans les Écritures. J’ai relu le Chant du Serviteur et j’y ai relevé l’affirmation : « C’est pourquoi je lui donnerai sa part avec les grands ; il partagera le butin avec les puissants ». Mais un autre passage a également retenu mon at­tention, quand David déclare : « Aussi mon cœur est dans la joie... Tu ne permettras pas que ton saint voie la corruption ».
« Frères, le patriarche David est mort, il a été en­seveli et son sépulcre existe encore aujourd’hui parmi nous. Comme il était prophète et que Dieu lui avait promis de faire asseoir un de ses descendants sur son trône, c’est la résurrection du Christ qu’il a prévue. Ainsi convaincu de la résurrection du Christ par la parole des Écritures, j’étais dans une joie profonde en pensant que Jésus, par le signe du suaire et des bandelettes, avait voulu nous annoncer qu’il s’était lui-même libéré des liens de la mort. Je suis tombé en extase, une lumière m’a aveuglé et j’ai vu Jésus en personne devant moi, dans toute sa gloire...

   Salomé l’a interrompu : « Était-il nu ? » Sa ques­tion a jeté un froid parmi les frères, scandalisés.
Salomé, ne m’interromps pas avec des questions futiles, mais pleines de venin ! Pourquoi aurait-il été nu ?
- J’ai bien vu qu’on l’a mis au tombeau tout nu, sans même un linceul.
Le ressuscité peut bien se parer d’un tissu de lumiè­re !
- Ah ! Je comprends pourquoi il s’est débarrassé de son suaire et de ses bandelettes : il voulait se vêtir d’un habit de lumière !
- Je disais donc, a repris Céphas agacé, que j’ai vu de­vant moi Jésus dans toute sa gloire. Sa tunique était plus éclatante que la neige, il portait une ceinture de rubis et son visage resplendissait. Il s’est approché de moi et m’a demandé :

Céphas, m’aimes-tu ?
- Maître, tu sais que je t’aime !
Me regardant plus intensément, il m’a ré­pété :
Céphas, m’aimes-tu ?
Confus, je me suis jeté à terre, car il me regardait comme le soir où je l’ai renié.
Jésus, tu sais que je t’aime !
- Si tu es vraiment converti à mon amour, affermis mes frères dans la foi et pais mes brebis. Puis il a disparu.

   À ce récit, les frères ressentirent une intense émo­tion, mais leur visage laissait percer une certaine dé­cep­tion.
- Et nous, a demandé Jude, sommes-nous ton trou­peau, puisque nous sommes les brebis du seigneur ?
- N’aie crainte, frère, a répondu Céphas en souriant, Jésus m’a seulement confié de vous affermir dans la foi ; si je dois aussi paître les brebis, je le ferai avec vous.

   Les disciples se sentirent rassurés.


Céphas, dit Jean, nous sommes prêts à croire ton témoignage. Cependant, pour que notre foi soit vrai­ment confirmée, nous devons aussi entendre celui de Maria, qui s’oppose au tien : non seulement elle in­terprète différemment les signes du tombeau, mais elle affirme avoir eu une vision où Jésus lui est ap­pa­ru comme un mort parmi les morts.
Elle prétend l’avoir vu mort ? S’est écrié l’un des frères. C’est un scandale, après la preuve que Dieu nous a donnée de sa résurrection. Je ne veux pas écouter un témoignage qui contredise celui de Cé­phas. L’heure est venue où les femmes doivent gar­der le silence, en humbles servantes, comme il con­vient au rôle que Dieu leur a dévolu.
- Frères, a répondu Céphas, je comprends votre in­dignation, mais nous devons reconnaître que Jésus, de son vivant, a manifesté à Maria un amour com­parable à celui qu’à travers moi il vous confie à tous comme médiateurs de sa parole. J’estime que nous devons l’entendre, puisqu’elle parle avec son cœur. Allez, Maria ! Raconte-nous ta vision.

   Alors j’ai raconté, en faisant grâce des détails, ce qui m’était apparu dans mon extase : ma quête de Jésus au jardin, comment je l’avais reconnu, son in­ter­diction de le toucher, son départ vers le Père, l’assurance qu’il m’avait donnée qu’il n’était qu’un mort parmi les morts. Mes paroles furent englouties dans un éclat de rire général :
- Ce n’est pas une apparition, dit Jacques, mais les fantasmes d’une femme frustrée !
- Il aurait été de meilleur goût d’enfouir au fond de ton cœur tes rêves d’amour déçus, surenchérit An­dré.

   Tous se moquaient, même Céphas abandonnait sa mine compassée et retrouvait son air hilare et bouf­fon. Meurtrie, je me suis raidie, m’efforçant de re­tenir mes larmes. Une fois calmés, les frères m’ont jeté des regards affligés et compatissants. Le silence revenu faisait de la salle un immense tombeau. Jean, le seul à avoir gardé son calme, pensif et tourmenté, prit alors la parole :
- Frères, il n’est pas bien de se moquer de celle que Jésus a aimée et que nous aimons aussi. Maria s’en est tenue à sa vision, sans l’interpréter. En la mépri­sant, nous n’avons pas cherché à la comprendre : Nous sommes aussi répréhensibles de n’avoir pas prêté attention à sa vision, que coupables d’avoir mé­prisé notre sœur. Je suis sûr que si Jésus apparais­sait à cette heure, comme il est apparu à Céphas, il ne rirait pas de celle à qui il a accordé son amour. Je vous exhorte, frères, à changer d’attitude !
« Certes, il est vrai que nous ne pouvons pas retenir la vision de Maria comme une apparition de Jésus, à l’instar de celle de Céphas : il s’agit seulement d’une révélation à travers un rêve. À voir les choses ainsi, non seulement Maria ne s’oppose pas à Céphas, mais elle le complète. Céphas a vu Jésus dans sa gloire de Christ ressuscité, Maria l’a contemplé avant sa résur­rection, quand il allait vers le Père afin que Celui-ci le proclame Christ. »

   Ces paroles apaisèrent les frères, dont les visages s’inclinaient comme pour donner leur assentiment. Constatant que leurs sentiments avaient évolué, Jean s’adressa à moi : « Maria, n’as-tu pas dit que Jésus a refusé de se laisser toucher parce qu’il allait vers le Père ? Voulais-tu alors l’embrasser comme jadis, ou accomplir l’onction de son corps comme pour un mort ? À mon avis Jésus, pour s’y opposer, n’était pas un mort parmi les morts, mais sur le chemin de la résurrection pour être oint par Dieu comme Seigneur et comme Sauveur. »

   Tous approuvèrent cette intervention. André leva la main pour demander la parole :
- S’il en est ainsi, quelle signification devons-nous reconnaître à l’onction de Maria ? Est-elle objet de la prédication de l’Évangile ?
- Certainement, répondit Jean, comme préfiguration de l’onction que Jésus a reçue de Dieu. Elle reste au niveau de la chair et de la parabole ; elle serait vaine séparée de l’onction de Dieu, comme toute image l’est de la réalité.
Jean, tu parles selon l’Esprit de Dieu, déclara Cé­phas, tu interprètes les faits à la lumière des Écritu­res. Maintenant, nous sommes tous d’accord pour croire que Dieu a ressuscité ce Jésus avec qui nous avons vécu, que nous avons touché de nos mains et que les Juifs ont crucifié. L’oint de Dieu, il l’est comme le premier de tous, et l’unique ; Il est le fils de Dieu présent dans la chair d’un homme, nous en sommes tous témoins. Désormais, nous n’avons d’au­tre raison d’être que d’annoncer sa mort pour les péchés du monde et sa résurrection, ainsi que son retour pour juger les vivants et les morts et embraser le monde du feu purificateur. Quiconque croira à sa résurrection sera sauvé, quiconque ne croira pas sera jeté dans la géhenne éternelle !


Le dégoût me prenait à la gorge ; les frères étaient surexcités, les uns se jetant à genoux, les autres éle­vant les mains vers le ciel. Un immense éclat de rire envahit alors la salle : un rire nerveux, recelant une plainte secrète. Tous se retournèrent vers la voix : Salomé riait aux larmes, comme prise de convulsions. Indignés et scandalisés, les frères s’en prirent violem­ment à elle : « Es-tu devenue folle, possédée par l’es­prit du démon ? » Jean, s’efforçant de rétablir le cal­me, lui demanda :
- Qu’as-tu donc, ma chère ? Te rends-tu compte de ton attitude ? Au moment où nous confessons que Jésus est le Christ, tu éclates de rire ! Je ne peux pas croire que tu es sous l’emprise de l’esprit du blas­phème... Peut-être t’es-tu assoupie un instant, et as-tu revu en rêve quelque événement drôle de ton en­fance ?
- Peut-être ! Je me trouvais sur le seuil du ciel, et j’entendais Jésus rire avec le Père !
- Que faut-il entendre ! Jésus aurait ri avec le Père ?
- Et tu appelles cela une vision ? Tu accumules les sottises, Salomé ! s’écrièrent-ils tous d’une seule voix.
- Que Jésus ait ri auprès du Père serait une calom­nie ? Ne vous souvenez-vous pas que, d’après les Écritures, Dieu a ri de l’œuvre des hommes ? Si Dieu peut rire ainsi, pourquoi Jésus s’en priverait-il ?
- Rire de qui ?
- De vous, sur qui il a pleuré dans la vision de Ma­ria !
- Est-ce vrai, Maria ? demanda Céphas, pourquoi au­rait-il pleuré ?
- Parce que vous attendez que le Christ envoyé par Dieu revienne pour détruire le monde et anéantir les hommes, puis créer de nouveaux cieux et une nou­velle terre.
- Où y a-t-il en cela motif de pleurer ? répliqua Cé­phas.
- Parce que cette croyance a son origine dans celle qui présume que le monde a été créé par les puis­sances du mal !
- Mais ce n’est pas notre foi ! T’es-tu laissée séduire par des étrangers ? Par ce Juif d’Alexandrie qui a si habilement accommodé les Écritures à la pensée des païens ?
- Ne t’en prends pas aux absents ! Si Dieu doit dé­truire le monde qu’Il a créé, c’est que les puissances du mal s’en sont emparées pour le soustraire à l’ac­tion de Son Esprit. Mais comment Dieu a-t-Il pu se montrer aussi faible devant ces puissances et leur abandonner Son œuvre ? À quoi bon créer un monde nouveau, s’Il est incapable de conserver le premier ?
« Frères, je ne m’en rapporte pas à la pensée pa­ïenne ; c’est vous qui demeurez sous la hantise de la croyance au mal, et faites ainsi de Dieu un prince de pacotille ! Vous avez renoncé au message d’amour de Jésus, puisque la grâce s’est soumise à la justice et l’amour à la crainte. Vous avez, vous-mêmes, trahi Jésus. Quant à moi, je refuse la prédication de ce personnage qui porte encore le nom de Jésus ! S’il prétend toujours annoncer l’amour, il deviendra le valet d’une religion d’exclusion et de pouvoir fondée sur la crainte. Que j’aimerais rire sur vous, moi aussi, comme Salomé ou comme Jésus l’a fait dans sa vi­sion ! Mais cela m’est impossible, car les sanglots compriment ma gorge.


Je n’ai plus rien dit ; je me suis accroupie dans un coin et me suis mise à sangloter. Mon intervention avait créé un profond malaise. Certains se raclaient la gorge, des regards désemparés se tournaient vers moi, d’autres vers Jacques ou Céphas dans l’espoir d’une réaction. Céphas a alors pris la parole :
Maria, ton jugement est celui de la chair, et la chair t’a jugée : tu t’es exclue toi-même de notre commu­nauté. Nous disions entre nous que Jésus avait chas­sé de toi sept démons, mais je pense qu’il a dû en lais­ser un, pour te mettre à l’épreuve et nous éprou­ver à notre tour. Nous souhaitons te voir reve­nir par­mi nous, mais tu devras d’abord confesser que Jésus est ressuscité et qu’il est le Christ, l’oint de Dieu. Nous ne méprisons pas ton onction, mais elle n’est pour nous que le signe de celle que Jésus a reçue de Dieu. Tu auras toujours un rôle à jouer parmi nous, mais ce ne sera pas celui de la parole : tu seras la « myrrhephore » qui annonça le Christ par l’onction de Jésus.
- Toutefois, a repris Jacques, elle ne pourra exercer ce rôle qu’après avoir fait pénitence pour ses péchés d’autrefois, mais aussi pour son incrédulité d’aujour­d’hui. Souviens-toi, Maria, que du vivant de Jésus ta situation était celle de Gomer, la prostituée, et que tu ne pourras réaliser la parabole du mariage d’Osée que repentie et revêtue du cilice et du sac. Dans ta vision, tu as reconnu que Jésus a refusé que tu le touches, cela redeviendra possible si ta chair est pu­ri­fiée au feu de la mortification !


Tous les frères sortirent et je restai seule avec Salo­mé.




Roman achevé en 2002




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t321978 : 01/11/2020