ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Pierre Curie


Le roman inachevé d’un utopiste





Tourcoing (1960-1967) :
expériences nouvelles


Sommaire

Prologue

Introduction

Clermont-l’Hérault

Saint-Quentin

Bruay-en-Artois

Tourcoing
- Introduction
- Le protestantisme à
  Tourcoing
- Communauté vivante
- Sensibilisations
- Parole d’utopie
- L’impasse
- Recherche de structures
   nouvelles
- Expériences nouvelles
  . Tournant théologique
  . Tournant œcuménique
  . Le groupe œcuménique
  . Le groupe pour la paix
    - Introduction
    - La force de frappe
    - Premier colloque sur le
      Vietnam
    - Audience du maire
    - Caravane pour le
      Vietnam
    - Second colloque
    - Le Moyen-Orient
    - L’arme atomique
  . Le groupe de recherche
    biblique
- Vers la crise

La crise

Épilogue




. . . . . . . . - o 0 o - . . . . . . . .

Le groupe pour la paix :
l’action de sensibilisation


   Aussitôt, les membres de l’équipe d’animation, qui avaient été acquis au projet de Forum pour la paix, s’accordèrent à penser que les armements nucléaires et la force de frappe française devaient être dénoncés comme une grave menace pour la paix en 1964. Il fut donc décidé d’en faire le thème de ce premier Forum qui devait être, comme le colloque œcuménique (1), un « événement » à Tourcoing.
   On convint de présenter cette première dénonciation publique comme une prise de position largement œcuménique, impliquant les croyants comme les non-croyants, d’où le titre proposé : « Chrétiens et non-chrétiens face au problème de la paix : un forum sur la force de frappe et les armements nucléaires ». L’œcuménisme s’exprimait aussi par le choix des orateurs appelés à animer le forum : un catholique, l’abbé Michel Lecomte, directeur du Secrétariat social de Lille, le pasteur Francis Bosc, de la communauté protestante de la Mission populaire de Paris-Grenelle, et M. Fernand Lecomte, professeur à l’Institut Turgot de Roubaix, représentant le Mouvement de la paix.

   Le forum eut lieu le vingt-sept avril 1964 dans la grande salle des fêtes des hospices de Tourcoing. Toute la presse régionale, qui avait déjà annoncé la manifestation, y fit dans les jours suivants un très large écho qui se répercuta, comme pour le colloque œcuménique, bien au-delà des cent-cinquante personnes présentes ce soir-là, dans la population des Flandres. Les cinq quotidiens régionaux (La Voix du Nord, La Croix du Nord, Nord-Eclair, Nord-Matin et Liberté) donnèrent une relation qui reflétait souvent leurs propres choix politiques. Certains, même, firent montre d’un défaut de tolérance : Nord-Matin, de sensibilité socialiste, fit l’impasse sur l’intervention de l’orateur catholique, et le quotidien communiste, Liberté, la réduisit à son minimum.

   Je présentai les trois orateurs et précisai l’intention de la rencontre. « Nous sommes venus d’horizons divers, et notre présence manifeste notre désir commun d’œuvrer pour la paix. Cependant, il faut la construire et en définir le prix : savoir s’écouter et se comprendre. Cette compréhension doit s’étendre à l’Est et à l’Ouest, aux Noirs et aux Blancs, aux peuples industrialisés et à ceux qui sont encore sous-développés. Il faut trouver un langage commun et œuvrer avec ténacité au rapprochement des hommes, car c’est la vie même de l’humanité qui est en jeu aujourd’hui ».

   « Trois exposés convergents », sous-titra La Voix du Nord à propos des interventions des orateurs. En particulier, La Croix du Nord relata avec le plus de précisions les trois positions.
   D’abord, la position catholique, fondée sur l’encyclique du pape Jean XXIII Pacem in terris, comme un « humanisme universel » sur lequel tous peuvent s’accorder. « L’homme, dit l’abbé Lecomte, est un « faisceau de droits » : droit à la vie, à la culture, à la libre expression même dans le domaine religieux : droits collectifs aussi, comme choisir son état de vie, bâtir un foyer économiquement viable, créer une société pour une vie meilleure, participer à l’action politique, etc. On a, peut-être, trop mis l’accent sur la notion de « devoir », qui n’est en réalité que le « dynamisme du droit » et le moyen de le porter jusqu’au niveau du bien commun ». Il rappela ensuite les critères énoncés par Jean XXIII : « voir la vérité des faits et des hommes ; vouloir ensemble que la justice soit véritablement réalisée au plan national comme au plan international ; instaurer l’amour et la solidarité vis-à-vis des peuples sous-développés plutôt que le paternalis­me ; parvenir à un désarmement progressif, simultané et contrôlé, qui demeurera d’ailleurs insuffisant sans un désarmement des cœurs ».
   La seconde position avertit que la guerre peut éclater par erreur. « M. Lecomte, du Mouvement de la paix, donna le point de vue de l’incroyant, qui considère l’homme uniquement sous l’angle de sa destinée terrestre, mais n’en aboutit pas moins au concept de l’humanisme », poursuivit La Croix du Nord. « Depuis vingt ans, le problème de la guerre se pose sous un jour nouveau. L’humanité a maintenant le moyen de se détruire elle-même en moins de quarante-huit heures ». Le quotidien communiste Liberté ajouta une précision de l’orateur : « Dans la première phase de la guerre, on pourrait compter huit-cents millions de morts en vingt-quatre heures. Les rescapés seraient trauma­tisés ». « Cela pourrait arriver par accident ; il faut admettre que l’humanité peut un jour être détruite par erreur ». Si les récentes limitations d’armements nucléaires sont des mesures de détente, il reste que « la politique française est dangereuse ; nous n’avons pas signé les accords de Genève et nous travaillons à la mise sur pieds d’une force de frappe coûteuse et inutile qui attirerait sur notre pays une destruction certaine dans le quart d’heure suivant le départ du premier missile. Mais il est beaucoup plus grave de penser que tous les pays peuvent avoir une telle force ».
   Enfin, l’intervention de l’orateur protestant rappela que « l’Église protestante est plus consciente que jamais de la solidarité entre tous les hommes ». Le pasteur Francis Bosc « rappela les appels successifs des synodes de l’Église réformée, et surtout celui qui a demandé au gouvernement de renoncer à la force de frappe. D’ailleurs, l’Église a une fonction de prophétie qui lui donne l’obligation d’avertir le peuple du danger vers lequel il court, sous peine d’avoir à rendre compte du sang répan­du. La confiance aveugle dans un gouvernement apparaîtrait coupable, dans une question qui engage notre vie, celle de nos enfants et de toute l’humanité, ainsi que l’ont rappelé la plupart des savants atomistes. Les peuples sous-développés s’étonnent de nous voir dépenser des milliards pour des œuvres de mort, alors que chez eux la faim suffit à tuer quotidiennement. Combien de temps pour­ront-ils encore accepter sans colère et sans violence un tel gaspillage ? ».

   Au cours du débat qui suivit, une controverse s’engagea avec les membres de « Pax Christi » qui, tout en reconnaissant le danger que faisaient peser sur l’humanité les armements atomiques, refusaient de se prononcer contre la force de frappe française sur un distinguo subtil de l’abbé Baert, représentant ce Mouvement : « On ne peut, au nom de la parole de Dieu, imposer une position temporelle sur un problème technique. Ce qui est ordonné au chrétien, c’est de vouloir la paix, de travailler pour le désarmement des cœurs et des États, mais il appartient à chacun de définir son itinéraire particulier. Certains font confiance de bonne foi à la force de frappe comme à une possibilité ultérieure de médiation et de paix. Même s’ils se trompent, nous devons respecter leur opinion ».
   La quasi-unanimité des cent-cinquante personnes présentes ne furent pas convaincues par cette argumentation et votèrent la motion suivante, destinée à l’opinion publique :
   « Un des principaux obstacles à la paix étant la méfiance éprouvée par les gouvernements et les peuples à l’égard des autres, il importe de créer un climat de confiance, entretenu et développé par des échanges de toutes natures, favorisé par des concessions réciproques.
   Pour être efficace, tout désarmement doit être simultané, équivalent et contrôlé ; les négociations doivent trouver appui sur l’opinion publique de tous les pays sans exception. Celle-ci doit être mise en garde contre des conceptions étroitement nationa­listes, et contre certains milieux économiques qui trouvent leur intérêt dans la poursuite d’une politique d’armement.
   Les risques effroyables d’une guerre nucléaire ayant été largement démontrés, il importe de prendre tous les moyens de la rendre impossible et d’envisager, dès à présent, la réduction puis la destruction de tous les stocks de bombes existant dans le monde, et la reconversion progressive des usines qui les fabriquent en entreprises destinées à l’utilisation pacifique de l’énergie atomique. En ce qui concerne la France, celle-ci s’honorerait en donnant au monde un tel exemple conforme à l’intérêt vital de l’humanité et en participant, dès à présent, à des négociations susceptibles d’obtenir cette décision de toutes les puissances atomiques, et en s’opposant à une éventuelle création d’une force nucléaire multinationale.
   Une telle politique de désarmement, tout en assurant la paix, permettra de développer le niveau de vie de tous les pays et d’apporter à ceux d’entre eux actuellement insuffisamment développés toute l’aide matérielle, technique et culturelle qui assure­rait à ces peuples une vie décente et un dé­veloppement harmonieux dans une complète in­dépendance.
   Pour promouvoir la paix dans le monde, l’effort de tous les hommes de bonne volonté est nécessaire. Nous formulons l’espoir que l’ONU, dont l’action est encore imparfaite, remplisse pleinement son rôle unificateur, afin d’arriver le plus rapidement pos­sible à la constitution d’une autorité à compétence mondiale qui, reposant sur tous les membres de la communauté humaine, ferait travailler chacun d’entre eux à la mise en œuvre du bien commun universel ».

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(1) Voir le compte-rendu du colloque de Tourcoing du 21/01/1964.   Retour au texte



1992




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tc437410 : 24/07/2019