ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Sur les bords du Jourdain

(Mc 1:1-13)




Le bâtard :

la mère de Jésus



Sommaire
Prologue

La méthode

Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
  . Récits de la conception
  . Le quatrième évangile
    - Théologie
    - Mythologie
- Le père de Jésus
- Résumé

De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte



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La mère de Jésus dans le quatrième évangile :

approche mythologique


   Je ne porterai mon attention que sur la scène de l’apparition de la mère de Jésus auprès de la croix. Une approche mythologique de cette scène est possible, dans la mesure où la rencontre de Marie et de Jésus peut être comprise à la lumière du mythe du héros. En effet, selon ce mythe, la vierge-mère, après avoir exposé son enfant, disparaît de l’histoire de celui-ci ; il ne la rencontre qu’à l’âge adulte, sans d’abord la reconnaître. La rencontre a pour but de permettre leur reconnaissance et d’ôter à l’une la tache de femme prostituée, à l’autre celle d’enfant bâtard. La péripétie de la reconnaissance s’opère par la manifestation d’un « signe ». Je me rapporterai au mythe d’Ion, en suivant la tragédie d’Euripide du même nom.

   Ion est l’enfant que Créuse avait conçu hors du mariage, alors qu’elle était vierge, puis exposé. Ion est recueilli par la prophétesse du temple d’Apollon, cependant que Créuse devient femme légale de Xouthos, mais elle est stérile. Les deux conjoints se rendent au temple d’Apollon pour demander au dieu un enfant.
   Le dieu ordonne à Xouthos d’adopter Ion, qui vivait au service du temple. Xouthos accepte, sans savoir qu’Ion est le fils de sa femme, mais celle-ci, ne reconnaissant pas en lui son propre fils, se révolte contre cette adoption, ne voulant pas qu’un étranger s’empare de l’héritage du fils qu’elle avait exposé. Elle cherche à faire périr Ion cependant que celui-ci, qui a découvert le piège qu’elle lui avait tendu, se propose à son tour de la tuer.
   À ce moment arrive la prophétesse, portant la « corbeille » dans laquelle elle avait trouvé l’enfant et Créuse reconnaît que cette corbeille est celle dans laquelle elle avait exposé Ion et que celui-ci est donc son propre fils. Mais la corbeille, en tant que moyen par lequel Apollon, par l’intermédiaire de sa prophétesse, a sauvé l’enfant, devient aussi signe qu’Ion est fils d’Apollon et que c’est par lui que Créuse a été fécondée.
   Désormais Créuse peut accepter Ion dans sa maison, mais il y vivra en tant que fils adoptif et non fils par génération : en tant que fils d’Apollon, Ion se dérobe à sa mère.

   La mère de Jésus se tient auprès de la croix comme une femme sans nom. Elle n’est pas la Marie des évangiles synoptiques, la mère du fils de Dieu, mais la mère refoulée dans le non-dit des récits, la femme prostituée des accusations juives. Elle est la véritable mère de Jésus, celle qui avait vécu sans mari et sans fils pour ne pas être accusée d’adultère. Elle reconnaît cependant Jésus comme son fils, à cause précisément de la croix qui joue le rôle de signe, car la croix est la prolongation de cette crèche où il avait été exposé. Mais cette même croix est aussi le signe par lequel Dieu manifeste que Jésus est son fils unique.
   Cependant que la mère est muette, n’osant pas appeler Jésus « fils » car elle se sent indigne d’être considérée comme mère, Jésus lui parle : « femme, voilà ton fils » (Jn 19:26). Il ne l’appelle pas « mère » (1) : en parlant comme fils de Dieu, Jésus renie sa mère en la tuant précisément comme mère. En tant que fils de Dieu, il ne vient pas de la chair, sa mère n’est plus qu’une « femme » qui lui a permis de venir au monde. Pour le quatrième évangile comme pour Paul (Ga 4:4), la mère de Jésus n’est qu’une « femme » ; elle n’est plus la femme prostituée ou adultère, mais la femme dans laquelle s’est accomplie l’incarnation de la parole.
   La péripétie du quatrième évangile est donc analogue à celle de la tragédie d’Ion. Tandis que, dans celle-ci, Ion se dérobe à sa mère en tant que fils d’Apollon, ne demeurant chez elle que comme fils adoptif, Jésus échappe à sa mère en tant que fils de Dieu, par substitution de sa personne physique. Sa mère peut bien le retrouver au moment où elle le perd comme fils de Dieu, mais seulement par allégorie. Dans la mesure où la croix accomplit la signification de la crèche, elle sublime l’exposition de Jésus dans son retour à Dieu son père.

   Le quatrième évangile accomplit donc le modèle de la naissance du héros qui avait été repris par Matthieu et Luc, mais au lieu de parler de l’enfant exposé il parle de l’enfant reconnu par sa mère. De la crèche il passe à la croix, où l’angoisse de l’exposition se transforme en tragique de mort. Mais, par cette mort, la prostitution de la mère et l’illégitimité de l’enfant deviennent symboles du mystère de la naissance du fils de Dieu(2).

______________

(1) En général, les théologiens ne trouvent pas anormal que Jésus appelle ainsi sa mère ; ils laissent ainsi échapper une des clés de l’interprétation du texte. Quelques-uns font exception, comme Feuillet qui écrit : « Il est certain que le titre de femme donné par Jésus à sa mère est anormal. Lorsqu’un juif s’adresse à sa mère en araméen, il lui dit " iman ", mère. Dans le monde grec, le vocatif " gunai " est facilement usité, même quand il s’agit d’une femme de rang élevé, mais là non plus il n’existe pas d’exemple où un fils s’adresse ainsi à sa mère. Si donc Jésus parle de cette façon à Marie, c’est qu’il fait intentionnellement abstraction de sa qualité de fils » (A. Feuillet, « Les adieux du Christ à sa mère – Jn 19:25-27 – La maternité spirituelle de Marie », in Nouvelle revue théologique (86), 1964, p. 475.   Retour au texte

(2) Ce récit du quatrième évangile peut aussi être mis en parallèle avec la scène de la rencontre entre Io et Prométhée, dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle. Io – comme je l’ai déjà dit – est une vierge fécondée par Zeus. Elle rencontre Prométhée alors qu’il est attaché aux rochers et qu’elle est encore enceinte. La scène a un caractère profondément théologique, car Prométhée révèle à Io qu’un des descendants du fils dont elle est enceinte le libèrera de ses chaînes et rétablira la paix entre les dieux et les hommes.
Dans le quatrième évangile, la trame change dans la mesure où le Sauveur que Marie rencontre est son propre fils. Le sens théologique est cependant similaire, comme si on modifiait la scène tragique pour qu’Io ne rencontre pas Prométhée mais son descendant libérateur, Héraclès, au moment même où il délivre Prométhée de ses chaînes. La mère de Jésus ne fait qu’accomplir la prophétie de Prométhée à Io : Marie rencontre Jésus, son fils, au moment où, se proclamant fils de Dieu, il se libère de la croix où il a été cloué.   Retour au texte




1984




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u0211220 : 17/06/2018