ans la même page autobiographique, nous lisons aussi que la question de la grâce « le conduisit à penser à un principe de droit naturel des gens qui lui servit à expliquer les origines du Droit romain, ainsi que celles de n’importe lequel des peuples païens pour tout ce qui concerne l’histoire, tout en restant conforme à la sainte doctrine de la grâce pour ce qui a trait à la morale » (17).
Il semblerait donc que cette recherche théologique fût le creuset de ses premières intuitions de la philosophie du droit et de l’histoire. Au sixième discours, il parlera même des conséquences ayant trait au droit des gens. Pour ma part, je chercherai à indiquer les liens entre sa conception de la grâce et sa future théorie de l’histoire.
« Puisqu’en péchant, on transgresse la loi éternelle par laquelle Dieu a fondé la cité de l’univers, pour sauver les choses et la république de l’univers, les créatures prendront pour guide leur propre nature, et l’homme la sagesse ». Thomas d’Aquin avait défini la loi naturelle comme « participation de la loi éternelle » (18). La participation marquait aussi bien la relation que la distinction des deux lois, qui se définissaient dans le cadre de l’analogia entis.
Vico, par contre, ne parle pas de participation. « Le Droit sur lequel cette immense cité est fondée, est cette raison divine d’ordre, introduite (inserta) dans le monde et dans ses parties, qui les contient et les conserve en traversant toutes choses. Or cette raison est en Dieu et se nomme sagesse de Dieu ». Mais il ajoute aussitôt : « elle est aussi appelée sagesse humaine, parce qu’elle est connue par le sage ». Il s’agit donc moins d’une participation que d’un aspect différent de la même loi ; la loi qui est dans la nature est identique à celle qui est en Dieu. De plus elle est saisie par le sage, telle qu’elle est en Dieu et dans la nature. La loi éternelle est ainsi par elle-même la loi naturelle.
L’homme ne pourrait donc pas la connaître si elle n’était pas la raison constitutive de son propre être (19).
Il importe de souligner cette identification, parce qu’elle porte en gestation la théorie de l’histoire que Vico développera dans la Science nouvelle ; en effet, il parlera de deux histoires, l’une éternelle, l’autre temporelle, dont les cours sont parallèles et synchronisés. La première jouera le rôle de loi ou schéma opératoire, par rapport à la seconde qui ne serait que circonstancielle, au niveau du fait (20). Or l’histoire éternelle n’est que la loi éternelle elle-même, que l’homme assume comme forme ordinatrice de son univers. Ainsi la mens hominis, sujet de l’histoire, implique en elle-même la mens dei, mens qui sera d’autant plus de Dieu qu’elle sera de l’homme.
Cette identification confirme la parenté de la pensée vichienne avec celle de Bruno. Mais la solution qu’il apporte au problème de la grâce permet aussi de découvrir une des lignes situant l’écart entre les deux philosophes. Pour le nolain, la ratio Dei est par elle-même ratio naturae ; pour Vico, par contre, l’ordre de la nature n’existe comme loi que dans la mens Dei.
Le danger du panthéisme surgit seulement dans la relation entre Dieu et l’homme. Vico y échappe cependant par sa conception de l’homme miracle. Même si cette thèse nous menait à découvrir une identification entre Dieu et l’homme au niveau de la mens régulatrice de l’histoire, Vico aurait pu répondre que c’est par grâce (21).
Il est inutile de souligner à quels immenses problèmes la réflexion vichienne risque de s’exposer.