’objet de cette nouvelle enquête est l’opposition entre les lettres et la guerre, telle qu’elle s’exprime dans l’opinion publique. Vico cherche donc moins à résoudre le problème qu’à dissiper des préjugés populaires. L’antithèse communément ressentie entre la guerre et la culture provient du fait que l’une utilise la violence, la lutte et la cruauté, et l’autre l’oisiveté (otium), la sagesse et la tranquillité ; la première s’appuie sur la force, la seconde s’associe à la faiblesse. Cette différence existe, pour Vico, seulement dans le cas où les armes et les lettres sont prises en elles-mêmes, en relation à leur objet. Au contraire, elle disparaît si elles sont considérées comme des arts, c’est à dire par rapport à l’homme qui les ordonne en vue d’une unique finalité civile.
L’opinion publique est davantage sensibilisée par cette opposition, parce qu’elle possède de l’homme une image brisée et partielle. En effet, elle conçoit l’homme comme mens (c’est à dire « esprit ») ou bien comme anima (c’est à dire « être animal sensible »), négligeant de considérer l’animus, qui est la force du vouloir. Mais on doit définir l’homme plutôt par l’animus, puisque celui-ci représente le lieu de rencontre de la mens et de l’anima (3). S’il est faux d’aligner les études à la faiblesse et à la facilité, comme si elles étaient exclusivement régies par l’esprit et non par l’animus, il est tout aussi erroné de rabaisser la guerre au niveau de l’animalité. L’animus prend aussi en charge la guerre, la soumettant aux lois de la rationalité et de l’humanitas.
Chez Vico apparaît la préoccupation de trouver un fondement philosophique au problème posé par les humanistes (4). Sa trilogie, empruntée au stoïcisme, lui permet de mieux se situer en face de Pic de la Mirandole. Pour bien indiquer cette différence, je citerai un texte de Salluste, qui a inspiré les deux philosophes dans la solution de ce problème : « Or toute notre force réside dans l’âme (animo) et dans le corps : l’âme est faite davantage pour commander, le corps pour obéir ; l’une nous est commune avec les dieux, l’autre avec les bêtes » (5).
Pic de la Mirandole semble bien inscrire l’homme dans cette alternative sallustienne. Il définit son existence par l’acte de libre choix entre deux comportements d’existence, bestiale ou angélique. Il laisse cependant sa thèse à l’état d’intuition sans se préoccuper de répondre aux interrogations qu’elle pose. Ces deux comportements, bestial et angélique, sont-ils uniquement extérieurs à l’homme ? L’homme peut-il demeurer encore un homme quand il devient bestial ?
Vico tente de répondre à ces interrogations en insérant l’affirmation pichienne dans le cadre de la tripartition stoïcienne. L’homme serait constitué de deux natures : l’une spirituelle – la mens – l’autre psychique – l’anima. Il est homme cependant, distinct des anges et des animaux, parce qu’il possède la puissance de se déterminer et de vivre selon l’esprit ou selon les sens. Cette puissance est l’animus. Quand bien même il vivrait comme une bête, il n’en demeurerait pas moins homme. L’animus le distingue aussi des anges, puisque, comme l’animalité, la spiritualité doit être élevée au niveau de l’animus pour être humaine, c’est à dire constitutive de la réalité concrète du domaine civil.
Vico donne ainsi la réponse au problème de la guerre et des lettres. La guerre est en elle-même une réalité matérielle, fondée sur la force et la violence ; par ailleurs, les études seraient de nature toute spirituelle. Les deux entités s’opposeraient donc dans le cadre de la dialectique matière-esprit. Mais, considérées comme des arts, assumées par l’animus en fonction de l’humanitas, elles ne s’opposent plus ; la matérialité de l’une s’élève à la spiritualité, la spiritualité de l’autre est située au niveau du sensible. Toutes les deux se réalisent dans la virtus.