n dépit de cet accord, les optiques des deux philosophes sont différentes. Machiavel se contente de justifier la guerre par le principe de la sécurité d’État, tandis que Vico recherche les raisons de la validité de cette justification. Pourquoi est-il nécessaire de recourir à la guerre quand la sécurité de l’État est mise en danger ? N’existe-t-il pas d’autres moyens ?
À partir du droit romain, il était universellement reconnu que la guerre faisait partie du jus gentium. La même autodéfense que le droit civil reconnaissait à chaque individu, le jus gentium l’étendait aux États. Mais où ce droit d’autodéfense politique devait-il s’arrêter ? Par exemple, la guerre préventive pouvait-elle être considérée comme un moyen efficace ? L’occupation du territoire d’autrui ne constituait-elle pas aussi une garantie de sécurité ?
Mais qui aurait pu invoquer un principe valable pour les deux parties en conflit ? Le jus gentium ne donnait pas un caractère suffisant de légitimité. Au temps de l’Empire, seul l’Empereur pouvait trancher les conflits entre États. Mais qui aurait pu représenter la justice, lorsque la déclaration de guerre venait de Rome elle-même ? Des papes avaient prétendu à ce haut privilège, mais eux qui ont été les plus grands partisans de la guerre (Machiavel), auraient-ils pu l’exercer eux-mêmes ? Au cours de la Renaissance, les humanistes distinguaient les niveaux éthique et juridique. Éthiquement, chaque État était responsable vis-à-vis de Dieu, in foro conscientiae ; juridiquement, la guerre devenait légitime lorsqu’elle était conduite en bonne et due forme.
Pour Alciato (1492-1550), les belligérants étaient assimilés aux acteurs d’une cause. L’état de belligérance était alors légitime ; le jugement intervenait au moment de la victoire de l’un des adversaires. La justice coïncidait ainsi avec la force, et le droit n’avait qu’une valeur formelle (8). Machiavel semble demeurer dans cette optique, pour qui la justice ne serait que l’efficacité du pouvoir politique lui-même.
Quand il affirme que la guerre est « un jugement de droit », Vico, sans s’éloigner de la terminologie commune, cherche une solution au-delà d’une légitimité strictement juridique (9). Il se réfère au développement personnel qu’il avait apporté à la thèse pichienne, distinguant deux situations de liberté, métaphysique et historique. La première expose la condition morale de l’homme lié à l’alliance de Dieu, la seconde, la situation de sociabilité que les hommes possèdent par contrat civil ; c’est à dire deux niveaux de sociabilité, l’un fondé sur le foedus, l’autre sur le contrat. Le premier est régi par le jus divinum ou naturel, le second par le jus civile.
La différence entre ces deux sociabilités est importante, surtout au niveau de la culpabilité ; en effet, au niveau du droit civil, toute transgression est punie par l’autorité, à laquelle chaque individu a aliéné sa propre liberté, tandis qu’au niveau du jus naturale ou gentium (puisqu’il n’y a pas d’autre autorité que celle de Dieu), le droit de punition revient au pouvoir de la partie offensée. Ainsi, le jugement ne peut être exercé que par la guerre.
Vico a pressenti la notion de fédération des États sans pouvoir la préciser. Mais aurait-il pu en dire davantage sans nier l’autonomie politique des États ? Puisque, par nature, les États sont fédérés et unis par le jus gentium, le droit de vengeance ou de punition ne devrait pas revenir uniquement à l’État lésé, mais à toute la fédération.