ourquoi l’Église avait-elle refusé de comprendre le rapport entre la philosophie et la théologie à la lumière de la distinction cicéronienne ? Parce que la philosophie serait restée, semble-t-il, indépendante de la théologie (donc de l’autorité de l’Église), mais aussi parce que la théologie, réduite aux problèmes éthiques, aurait dû renoncer à ses droits sur la raison. Les héritiers de la liberté de penser ne se déclarèrent pas battus, et ils cherchèrent une formulation susceptible d’accorder les exigences de la raison et les prétentions du concile. Ils la trouvèrent dans l’image des deux livres (6). Sur ce chemin, nous rencontrons avant tout Campanella.
Enfermé dans les prisons de l’inquisition pendant trente ans, il n’en sortit qu’en simulant la folie ; ami de Galilée dont il avait pris la défense, mais aussi hanté par les perspectives universalistes de la Contre-réforme, Campanella fut l’homme d’un tel exploit.
L’interprétation qu’il a donnée des relations entre les sciences et la théologie doit être comprise dans le cadre de cette perspective. Dieu aurait parlé à l’homme de deux façons : par le livre des œuvres de la nature, et par celui des Écritures. Dans le premier, l’écriture est la réalité du processus créateur lui-même (ipsum facere realiter) : ses symboles sont les choses. Dans le second, elle n’est qu’un signe en rapport avec l’intention du premier livre (7). L’image des deux livres n’était pas nouvelle, mais nouveau le rôle qu’elle était appelée à jouer. Relevons les points les plus saillants de la théorie subjacente.
Conformément à l’école napolitaine dont il faisait partie, Campanella reconnaissait le lieu de la vérité dans la « nature », qui n’était pas cependant en contradiction avec les Écritures mais complémentaire, toutes deux se rapportant à la parole de Dieu. Comme les Écritures, la nature est un livre, vivant et réel parce qu’écrit au moyen des choses ; l’autre n’est que lettre morte, puisque écrit au moyen des signes. La finalité des deux écrits les sépare aussi profondément. En effet, la Bible est nécessaire à la connaissance des « intentions » de Dieu, le livre de la nature à la connaissance de la nature des choses.
Cette théorie ne différait pas de celle de Bruno. Si la Bible ne donne, en effet, que l’intention du Créateur, elle demeure utile pour la connaissance de la vérité. Sa signification ne concernerait que les relations éthiques entre les hommes. La Bible n’a donc qu’un caractère rhétorique, et non philosophique. Grâce à l’image du livre, la théorie campanellienne apparaît, sans doute, plus persuasive que celle de Bruno. Désormais le problème des relations entre la philosophie et la théologie demeurera lié à cette image, qui ne s’effacera que dans la seconde phase de la pensée cartésienne.