ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



3-  La  nouvelle  science






36- Galilée et Descartes



Magnum Dictionarium, de P. Danet, 1691





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l’homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l’autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d’ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science
Giordano Bruno : foi et
  philosophie
Campanella : la métaphore des
  deux livres
Bacon : volonté et puissance
Galiléo Galiléi et le langage
  mathématique
Descartes : de la langue aux
  idées
Galilée et Descartes

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


alilée et Descartes ne se sont jamais rencontrés ; leurs perspectives étaient différentes, l’un recher­chant la science, et l’autre la philosophie. Cepen­dant, ils ne pouvaient s’ignorer totalement car, pour Galilée, la quête de la science s’inscrivait dans le cadre d’une préoccupation philosophique tandis que, pour Descartes, la philosophie tendait avant tout à résoudre le problème de la possibilité de la science. Aussi se sont-ils trouvés unis dans le même combat culturel. En fait, des échanges avaient eu lieu entre eux, essentiellement par l’in­termédiaire de MMersenne, tout autant lié à la personne de Descartes qu’à la pensée de Galilée. Sur son initiative Descartes avait lu, peut-être à contrecœur, la dernière œuvre de Galilée ; celui-ci avait eu connaissance du Discours de la Mé­thode.

La lettre que Descartes avait adressée à Mersen­ne, après la lecture des I discorsi intorno à due nuove scienze, est très importante pour notre recherche, car elle précise les points d’accord et de rupture avec le savant italien. Je ne m’attarde­rai pas sur les aspects psychologiques de cette lettre, qui en rendent la lecture fort pénible car ils nous montrent sous l’auteur un homme qui juge les autres en prenant sa propre pensée pour mesu­re.
   Relevons d’abord les termes par lesquels il af­firme son accord de principe : « Je trouve en gé­néral qu’il philosophie beaucoup mieux que le vulgaire en ce qu’il abandonne le plus qu’il peut les erreurs de l’école et tâche d’examiner les ma­tières physiques par des raisons mathématiques. En cela, je m’accorde entièrement avec lui, et je tiens qu’il n’y a point d’autres moyens pour trouver la vérité ».
   Mais son désaccord n’en est pas moins important : « Il me semble qu’il manque beau­coup en ce qu’il fait continuellement des di­gressions, et ne s’arrête point à expliquer tout à fait une matière, ce qui montre qu’il ne les a point examinées par ordre et que, sans avoir considéré les premières causes de la nature, il a seulement cherché les raisons de quelques effets particuliers, et ainsi qu’il a bâti sans fon­dement » (26).

Descartes blâmait Galilée pour l’emploi de la for­me dialoguée qui, à son avis, rompait l’enchaîne­ment logique du discours. Cette forme aurait dû être évitée, puisqu’il s’agissait d’une œuvre scien­tifique. Sans doute cette critique était-elle motivée par son intransigeance à l’égard de toute rhé­torique. Il pensait alors fermement que, pour se faire comprendre en matière de philosophie, on devait faire l’économie de toute œuvre de per­suasion, pour ne se confier qu’à la conviction de la démonstration.
   À la fin de sa carrière seulement, après les ré­ponses qu’il donnera aux objections à ses Médi­tations, il a pu se rendre compte que les raisons de sa démonstration n’avaient pas suffi à convain­cre tout le monde, et qu’il était nécessaire, malgré tout, de recourir à des motifs de persuasion. C’est ainsi que les Recherches ont été écrites sous for­me de dialogues où, précisément comme l’avait fait Galilée, il « introduit trois personnes qui ne font autre chose que louer et exalter ses inven­tions, chacune à son tour, et faisant valoir, lui aussi, sa marchandise » (27). En dépit de leur désaccord initial, on peut voir dans les Recherches que les deux hommes se sont finalement rencon­trés au niveau de l’écriture.

Il a fait une critique plus radicale encore du con­tenu de l’œuvre galiléenne, dont il a remis en question la valeur scientifique, puisqu’elle serait dépourvue d’ordre et de fondement. Même si Descartes avait exprimé ce jugement dans une lettre qui ne prétendait pas à la publicité, et en tenant compte qu’il a fait du livre une lecture hâtive et incomplète, surtout à propos des preuves mathématiques, sa personnalité était telle qu’elle oblige à y prêter attention.
   L’accuser de manque d’« ordre » nous con­traint à revenir quelques années en arrière, préci­sément à la période où Descartes portait en gesta­tion le De Mundo, entre les Regulae et le Dis­cours de la Méthode. C’était le moment le plus héroïque de sa pensée, car sa quête de certitude se présentait encore comme un drame passionnant d’existence. Il écrira alors à Mersenne : « Je ne doute point toutefois qu’il y ait un ordre naturel entre elles (les étoiles), lequel est régulier et déterminé. Et la connaissance de cet ordre est la clé et le fondement de la plus parfaite science que les hommes puissent avoir, touchant les cho­ses matérielles ; d’autant que par son moyen, on pourrait connaître a priori toutes les diverses formes et essences des corps terrestres, ou bien que, sans elles, il nous faut contenter de les devi­ner a posteriori et par ses effets » (28).

Ces lignes, parvenues à un tel niveau, ne trouvent d’égales que la page de Bacon concernant le cou­ple connaissance-puissance, et celle de Galilée sur l’intuition du langage mathématique. Elles mon­trent d’abord que le problème de la vérité se pose chez Descartes en termes de déduction a priori. Elles révèlent en outre le drame intérieur du philo­sophe, hanté par l’a priori et cependant contraint de connaître les essences de la matière a poste­riori, comme par une divination (deviner). Sa stature de grand philosophe est mise en évidence par l’exploit qu’il voulut tenter en dépit de sa folie, de parvenir à une parfaite connaissance a priori du sujet des essences de la nature. Exploit d’une pensée titanesque, semblable à celle d’un héros.

Le De Mundo a été médité dans cette fureur philosophique. Suffisamment lucide pour ne pas s’abandonner complètement à cette hantise, Des­cartes pensait cependant à la limite du raison­nable. En ne reconnaissant dans la sensation qu’une simple modification du sujet, il s’était senti autorisé à exclure de la conception de la nature toute forme qualitative, pour ne la définir que comme extension. Ainsi la matière ne serait que la quantité mathématique elle-même, les deux di­mensions différant en ce que les mathématiques sont abstraites et la nature concrète. Toutes les formes déduites des principes mathématiques peuvent exister dans le monde physique, mais existent-elles vraiment ? Comment passer de la connaissance des phénomènes possibles à celle des phénomènes réellement existants ? Il n’y a pas d’autre voie que la méthode a posteriori.
   En écrivant le De Mundo, Descartes pensait que les sensations ont une relation directe avec les idées de la nature, parce qu’elles les signifient bien que n’en étant pas des images. Il se servait alors des sensations pour parvenir à l’intuition des principes de la nature, jumelant les fonctions signifiantes des sensations aux idées mathémati­ques. En même temps que l’analyse lui faisait connaître l’ordre possible, la sensation lui indi­quait par sa signification si l’ordre existe ou non. Ainsi la déduction mathématique devenait-elle, par l’intermédiaire de la sensation, une intuition. Mais puisque celle-ci est obtenue non au moyen de l’évidence, mais d’un signe, elle demeure hypo­thétique.

Dans le De Mundo, Descartes voulait expliquer les phénomènes de la nature à partir de son hypo­thèse de l’ordre fondamental, donc causal, de l’univers qu’il saisissait par ce procédé mathéma­tico-linguistique. C’est pourquoi cette cause, tout en restant hypothétique, prétendait donner une connaissance déductive et scientifique dans les limites des possibilités consenties à l’homme.

À la lumière de ces principes, la critique adressée par Descartes à l’œuvre de Galilée devenait claire. En effet, le savant florentin n’aurait pas recherché à l’avance les causes des phénomènes qu’il étu­diait. Descartes estimait que cette absence était un manque d’ordre, c’est à dire de méthode, qui mettait en doute la valeur scientifique de la re­cherche galiléenne. En effet, si on ne recherche pas les causes, la méthode n’est pas déductive. Ne l’étant pas, elle n’est pas scientifique non plus, car son argumentation n’est qu’empirique et a posteriori.
   Descartes ne se rendait pas compte que, pour Galilée, ne pas rechercher les causes était une question de principe. Il ne pouvait concevoir d’au­tre a priori que déductif. Au contraire, Galilée voulait étudier scientifiquement les phénomènes, sans avoir besoin de remonter à leurs causes, les saisissant dans leur réalité phénoménale par une méthode empruntée à la philologie. Les mathéma­tiques ont été employées par lui non comme des idées, et donc des causes universelles, mais com­me des principes linguistiques. Le savant s’appro­che de la nature comme le grammairien du livre. Il peut comprendre la structure des phrases, sans pour autant en expliquer le sens (29).
   Galilée concevait une connaissance a priori, non déductive. Entre la folie de Descartes et celle de Bacon, l’un hanté par l’a priori, l’autre par l’a posteriori, Galilée avait choisi un juste milieu où l’a priori et l’a posteriori se compénètrent sans se détruire. Sans doute a-t-il payé très cher cette méthode, car il dut renoncer à la métaphysique, mais ce faisant il sauvait la science. Dans le souci de parvenir à une science qui fut en même temps philosophie, Descartes est parvenu à une fable cosmologique.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312360 : 21/08/2017