ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)3- La nouvelle science |
34- Galileo Galilei |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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l peut paraître étonnant que, dans Il saggiatore, livre où s’ébauchent ses premières méthodologies, Galilée ne se soit pas exprimé en termes scientifiques, mais en termes philosophiques. Ces mots étaient encore ambivalents, et ce sera le mérite de l’œuvre de Galilée d’en séparer les domaines respectifs. Il faut le reconnaître aussi, à ce moment-là, les préoccupations fondamentales de Galilée étaient philosophiques, car il lui aurait été impossible de s’occuper des sciences, sans dégager au préalable les problèmes philosophiques qui y étaient liés. Tout en critiquant la pensée d’Aristote, Galilée a toujours porté au philosophe le plus grand respect (11). Son ironie et ses sarcasmes ont seulement cherché à atteindre l’aristotélisme. Il n’a jamais remis en question l’Église, mais les théologiens, tout en sachant cependant que ceux-ci ne pouvaient être attaqués sans dévoiler celle-là. Il critiqua l’autorité en affirmant la nécessité de distinguer la philosophie et la recherche philologique. En effet, dans celle-ci, il convient de tenir compte des auteurs, de leur style et du contexte historique, tandis que la philosophie doit être libre de toute référence aux auteurs, s’appuyant non sur la parole des livres mais sur la vérité des choses. La philosophie n’est pas écrite par des hommes. À travers ces paroles, Galilée donnait la réponse à une interrogation que Bruno, Campanella et même Bacon avaient laissée en suspens. Ils avaient reconnu que la nature est un livre, mais ils n’avaient pas su dire comment ce livre pouvait être lu. Pour Bruno, la connaissance de la nature s’obtient par la conversion de l’esprit humain à un itinéraire d’ascèse à travers l’esprit, porté par la fureur, transcendant le multiple et le temps (13). Selon Campanella, pour lequel on ne peut connaître que soi-même, l’homme ne parviendra à la connaissance des choses qu’en se laissant modifier par elles, devenant ainsi autre que lui-même (14). Galilée prenait tellement au sérieux l’image du livre que, pour lui, connaître n’aurait été que lire. Science et langage se recouvriraient. En supposant cette identification, une grande distance apparaît entre l’homme et la nature. L’esprit n’a pas une perception immédiate de l’être, qui ne serait connaissable qu’à travers un signe. Le savant se trouve en présence de la nature comme le philologue en face du livre, qui ne peut être compris que dans le cadre d’une interprétation, par l’usage de la langue. La méthode mathématique naît à partir du modèle linguistique. Bacon et Galilée se rejoignent. Pourtant le second se heurte à des obstacles que le premier semble éviter. En effet, dans le projet du philosophe anglais, l’homme a des perspectives prométhéennes, parce qu’il est soumis à Dieu pour participer à sa puissance. Il peut transformer la nature parce qu’il a la possibilité de la connaître. Le problème de la relation entre l’homme et Dieu se trouvant au centre des soucis philosophiques de Galilée, il n’est pas surprenant de le retrouver dans le Dialogo dei massimi sistemi, dont l’intention était le renversement culturel. Simplicio, l’interlocuteur aristotélicien et traditionaliste du dialogue, remarquait dans la conception de aZagredo une contradiction frappante, parce que l’homme peut connaître la nature sans en être l’auteur. Dans sa réponse, Zagredo s’est révélé soucieux d’affirmer que l’homme n’est pas la mesure de l’univers, puisqu’il n’en est pas l’auteur. Cependant, il en possède une connaissance aussi certaine que celle de Dieu. Sans doute cette distinction n’était-elle pas nouvelle, se retrouvant chez tous les philosophes. Cependant, elle était comprise de façon originale ; en effet, si l’on admettait communément entre les deux connaissances une différence qualitative, Galilée niait toute subordination de valeur. Pour les anciens, leur relation était analogique, pour Galilée elle était univoque. Le vrai mathématique est identique au vrai divin (16). Alors pourquoi cette diversité des modes, si la saisie de l’objet est identique ? Ne doit-on pas dire que l’homme parvient à la vérité de Dieu parce qu’il accède à la même idée créatrice ? Le processus discursif comporte-t-il une imperfection au niveau de l’intuition ? L’œuvre de Galilée n’offre pas de réponse directe à ces interrogations. Pour répondre, il convient de se rapporter à la fonction linguistique qu’il a attribuée aux mathématiques. La compréhension de la nature devient alors possible par l’extension de la méthode philologique. Il s’agit de la saisie du sens, et non du réel. L’être ne se manifeste que par l’écriture et la lecture. Les interprètes de Galilée s’interrogent sur la nature de sa méthode : est-elle expérimentale, ou mathématique ? Koyré a bien compris que, lorsque Galilée a recours aux expériences, il utilise une méthode mathématique, s’agissant toujours d’expériences de pensée (17). Cette méthode a priori est-elle vraiment déductive ? Dans Il saggiatore, Galilée avait évité de mettre le livre de la nature en relation avec les Écritures, comme l’avaient fait Campanella et Bacon. Cependant, il y fut contraint quand on s’aperçut que sa conception de la vérité mettait en échec les prétentions de la théologie. En conclusion je dirai que, chez Galilée, la formulation de la « double vérité » ne joue aucun rôle. Il n’existe que la vérité mathématique, identique en Dieu et dans l’homme. L’Écriture, quant à elle, ne recherche pas la vérité, mais « le salut et l’établissement de la foi ». Elle se situe donc au niveau de la communication et de l’existence, non à celui des essences ; de la rhétorique, non de la philosophie. |
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t312340 : 21/08/2017