ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



4-  La  controverse  des  langues






42- Valla et le rôle
de la langue latine



Magnum Dictionarium, de P. Danet, 1691





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l'homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l'autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d'ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues
La provocation du P. Bouhours
Valla et le rôle de la langue
  latine

Les dialogues sur la langue
  vulgaire
L'excellence de la langue
  françoise
Unité culturelle des deux
  littératures
Célébration de la langue
  française et fin de la querelle

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l'interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


e n’était pas par hasard que le mot « barbares » revenait sous la plume du P. Bouhours, qui ne faisait que reprendre et renverser le thème domi­nant de la culture humaniste. Selon lui, la barbarie et la politesse représentaient les termes d’une dia­lectique de culture traversant de siècle en siècle les nations jusqu’à son dépassement dans la per­fection absolue de la langue française. Or le rôle de l’esprit était le même que les humanistes avaient reconnu dans l’élégance de la langue lati­ne, qui conduisait les hommes de l’état de barba­rie à celui des humanités. Ainsi, le mot « poli­tesse » recouvrait-il celui de « humanitas ».
   Les affirmations du P. Bouhours prenaient alors un sens hautement historique : le français était substitué au latin dans le rôle de langue civili­satrice. La querelle littéraire cachait sous le pétille­ment de son langage un des problèmes de l’histoi­re de notre culture. Elle posait, en effet, la ques­tion de la communication et de la compréhension entre les peuples européens et – ce qui était le plus important – du projet idéal d’homme qui en supportait l’unité fondamentale. L’apparente co­médie du P. Bouhours devenait l’enjeu d’un dra­me : la prise de conscience de la domination de la culture française, tournant décisif dans notre pro­pre histoire.
   Pour le comprendre, il faut remonter aux ori­gines de l’humanisme, et plus particulièrement à l’œuvre de Valla, qui avait projeté une culture européenne sur la base du classicisme de la langue latine (10).

Non seulement Valla n’ignorait pas le grec, mais il en possédait une connaissance égale à celle du latin. Cependant son choix s’est fixé sur ce der­nier en raison du rôle joué par la romanité dans l’histoire. Au Moyen-Âge, on avait associé le dé­veloppement de la civilisation à la poursuite de l’empire. Il suffit de se remémorer les idéaux de Frédéric II, les perspectives gibelines de Dante, la culture romane issue de l’empire carolingien. En un certain sens, la culture avait été conditionnée par la conscience de l’empire, même chez Pétrar­que, qui fut pourtant l’un des précurseurs de l’humanisme.
   Or Valla avait rompu avec cette tradition, dis­tinguant deux aspects dans la romanité : l’empire politique, fondé sur les conquêtes militaires, et l’empire culturel sur l’excellence de la langue lati­ne. Il avait également affirmé que la langue latine avait été plus vivante et dominante à l’heure de l’écroulement de l’empire, la mort de celui-ci ayant entraîné l’apothéose céleste de celle-là. Ainsi la culture rayonnante du latin avait été déli­vrée du pouvoir politique. La Rome impériale avait cédé le pas à la Rome humaniste, transfigu­rée et céleste, dominant de façon spirituelle et durable l’Europe entière.
   À travers elle, sans distinction de races et de nations, Italiens et Gaulois, Espagnols et même Allemands étaient tous des Romains. Au niveau de cette langue, tous les peuples d’Europe retrou­vaient les motifs les plus profonds de leur unité culturelle. Au moment où ils furent dominés par les armées romaines, ils furent conquis par l’hu­manité de la langue latine qui, auparavant, avait subjugué les Romains eux-mêmes (11).

En raison de cette fonction civilisatrice, le latin prenait chez Valla un caractère sacramentel : « Magnum ergo latini sermonis sacramentum est » (12). Même en interprétant cette phrase se­lon le lexique du latin classique, elle offrait un sens étrange, sublime pour l’époque. Le latin de­venait la langue sur la foi de laquelle les nations européennes prêteraient serment, se liant au peu­ple, dans une communauté de pensée et de pa­role.
   Mais Valla dépassait ce sens, voyant dans le latin un instrument de grâce, relevant de Dieu. Tous les peuples en auraient eu conscience, parce que les latins comme les barbares, les étrangers comme les ennemis ont gardé cette langue sainte­ment et religieusement, et nous nous souvenons de la fonction mnémonique exercée par la conso­nance des mots.
   Il apparaît difficile de penser que Valla ne se soit pas référé à l’affirmation de Paul : « Sacra­mentum hoc magnum est, ego autem dico in Christo et in Ecclesia » (Ephés 5: 32), tant les deux propositions s’accordent. En fait, la langue latine, bien que détachée de l’empire, n’était pas laissée à elle-même, mais elle était supportée par l’Église qui pouvait, seule, en garantir la stabilité et la pérennité pour toutes les nations (13). Grâce à la religion chrétienne, elle n’était pas une langue morte, abstraite, réduite à une pure grammaticali­té, mais elle demeurait concrète, historique, ap­partenant toujours à cette ville dans laquelle elle était née, la Rome chrétienne qui, précisément, avait surgi de la mort de l’empire. Ainsi, la con­dition céleste de la langue latine coïncidait-elle avec la nouvelle condition sociale de Rome. Son caractère de sacramentalité se chargeait d’un sens nouveau, sacré. Elle devenait le sacrement de la parole pour la communication, la compréhension et l’union des peuples.

L’esprit qui animait Valla n’a été ni pré-réfor­mateur, ni entièrement catholique. Il était huma­niste, tendant à une restructuration du catholicis­me dans une perspective culturelle (14). S’il est exact que Valla a dénoncé et démontré la super­cherie de la donation de Constantin, il est tout aussi vrai qu’il n’a pas remis en cause la papauté et son autorité. Il apparaît, cependant, que la fonction humaniste qu’il a confiée à l’Église s’est trouvée à l’origine de la critique laïque qui surgira plus tard. En déniant à l’Église toute prétention politique, il reconnaissait dans son langage une sacramentalité laïque, essentiellement culturelle, dont la finalité était mondaine.
   Valla posait les fondements d’une réforme con­duisant l’Église à sa reconversion à l’homme. Il n’envisageait pas un retour au Moyen-Âge, puis­que alors non seulement on ne parlait pas « lati­nement », mais on ne parlait même pas latin (15). Sans doute recourait-on à la grammaire latine, mais en la séparant du lexique et du style de la tradition littéraire. Ce latin n’était qu’un langage barbare, impuissant à conduire l’homme à sa par­faite humanité. Le renouveau culturel impliquait une restauration du latin pour le conduire à nou­veau à sa dignité de langue maîtresse de la cul­ture.
   Valla poursuivit cette entreprise à deux ni­veaux : tout d’abord par les Elegentiæ qui redé­couvraient les champs sémantiques du classicis­me ; ensuite par les Dialecticæ disputationes, dans lesquels il a recherché des fondements nou­veaux pour la logique du discours (16). À ce prix seulement, le latin aurait pu devenir la langue spirituelle, sacramentelle, à laquelle Dieu a confié le rôle de communication entre les peuples. À juste titre, Camporeale souligne que, pour Valla, « le langage s’incarne dans la langue lati­ne » (17). Ainsi les Elegentiæ, la pureté de cette langue deviennent le véhicule et l’enjeu de cette civilisation future.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312420 : 23/08/2017