ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)4- La controverse des langues |
43- Les dialogues |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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es historiens de la littérature italienne sont d’accord pour reconnaître que l’accent mis par les philologues humanistes sur l’étude du latin avait provoqué une crise à l’égard de l’italien (18). Celui-ci demeurait en situation d’infériorité par cette appellation de « vulgaire » qui en soulignait l’origine populaire et barbare, et qui, cependant, avait été élevé par Dante, Pétrarque et Boccace à la dignité de langue par des œuvres restées parmi les plus grandes et les plus géniales de toute la littérature italienne. À mon avis, l’événement qui a, sinon déclenché, du moins polarisé le mouvement en lui donnant une orientation précise, est la découverte du De vulgari eloquentia de Dante et sa traduction par Trissino (19). Œuvre de grande envergure malgré ses limites linguistiques, le De vulgari eloquentia est la première critique littéraire et stylistique sur une langue néo-latine. Dante avait entrepris une confrontation entre les dialectes italiens pour saisir, comme un gibier dans une forêt, ce « noble vulgaire » qui, par ses qualités, pouvait rivaliser avec le latin (20). Sa démarche offrait aux stylistes du Cinquecento deux directions : l’une vers l’étude des relations entre la langue vulgaire et le latin classique, l’autre entre les différents dialectes pour découvrir celui qui aurait présenté les meilleures possibilités linguistiques. Dans le premier cas se situe, au tout commencement du siècle, la dispute entre Bembo et Jean-François Pic de la Mirandole – neveu de son homonyme humaniste – sur le thème de l’imitation (21). Il n’est pas négligeable de remarquer que la controverse portait davantage sur le style littéraire que sur les arts. Au début du Quattrocento, imiter ne signifiait pas, comme j’ai eu l’occasion de le dire, reproduire des œuvres classiques, mais en produire de nouvelles à la lumière du même modèle idéal. Dans la perspective humaniste, la langue vulgaire aurait dû imiter le latin, non pour reproduire le style des auteurs, mais – comme Dante l’avait bien fait remarquer – pour rivaliser avec eux. Jean-François Pic de la Mirandole n’avait pas oublié le manifeste humaniste lancé par son oncle dans le De hominis dignitate, puisque le style qu’il entendait promouvoir était créateur, conforme à la dignité de l’homme. Ainsi s’inscrivait-il, peut-être sans le savoir, dans la perspective de Dante. Élevant son expérience en norme de style, Bembo devint l’arbitre incontesté du problème de la langue. Deux courants s’opposaient, l’un voulant s’inspirer de la perfection du dialecte toscan populaire, l’autre du langage utilisé dans les cours d’Italie. C’était poursuivre des orientations stylistiques suivant les deux perspectives ouvertes par Dante dans le De vulgari eloquentia. Bembo n’a guère eu de peine à réfuter les deux courants, démontrant que le toscan demeurait langue vulgaire et que la langue de cour, par la confluence avec d’autres dialectes et d’autres langues, ne pouvait aboutir qu’à la corruption de l’italien. Dans ce contexte, l’imitation se présentait comme la seule issue, puisque la langue italienne ne se trouvait pas, comme le français, dans sa période de formation. Elle possédait déjà ses maîtres de style en Dante, Pétrarque et Boccace qui, par la perfection de leurs œuvres, ne demandaient qu’à être imités. Ainsi, il devenait facile à Bembo de tracer le plan de recherche sur les deux langues selon un schéma d’imitation : pour le latin, sur le modèle de Cicéron et de Virgile ; pour l’italien sur ceux de Pétrarque et de Boccace (24). Sans doute faut-il au moins reconnaître à Bembo le mérite d’avoir ôté l’indécision des esprits, en leur offrant une méthode concrète et positive, en étroite relation avec le développement historique de la langue. Mais en imposant l’obligation d’imiter Pétrarque, il ouvrait le chemin du pétrarquisme, donnant à la rhétorique la suprématie sur la poésie. Si Bembo est devenu un maître à penser en matière de style (25), des écrivains et des stylistes surent néanmoins se détourner de ses directives. L’idée de création littéraire défendue par Jean-François Pic de la Mirandole n’était pas demeurée sans écho, ni chez les authentiques génies, comme Ariosto et Tasso, ni chez des auteurs de moindre envergure. Sur la question de la langue, Castiglione entendait poursuivre la polémique entreprise par Bembo et Jean-François Pic de la Mirandole en prenant parti. Il s’opposait à Bembo, sans l’attaquer directement, car il n’était pas dans son style de critiquer avec violence, préférant le détour et le contour, toujours avec clarté et une grande efficacité. Il refusait d’adhérer aux canons de l’imitation, car « la force et la véritable norme du bien parler reposent plus sur l’usage que sur toute autre chose, car le vice consiste dans l’emploi de mots qui ne sont pas entrés dans la coutume » (26). L’italien n’est pas, comme le latin, une langue dont l’usage est lié aux écrits, mais une langue vivante, changeante comme les coutumes et les arts. Utile pour le latin, l’imitation ne l’est pas pour l’italien. Cependant l’italien demeurera, pour longtemps, profondément tiraillé entre le toscan, l’imitation de Pétrarque et la langue des cours. Une floraison de dialogues se succèdera jusqu’à la fin du siècle, tendant tous à un accord et à un équilibre dans une perfection jamais atteinte jusqu’alors en prose. |
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t312430 : 23/08/2017