ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



4-  La  controverse  des  langues






45- Unité culturelle
des deux littératures



La logique ou l'art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l'homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l'autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d'ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues
La provocation du P. Bouhours
Valla et le rôle de la langue
  latine
Les dialogues sur la langue
  vulgaire
L'excellence de la langue
  françoise
Unité culturelle des deux
  littératures

Célébration de la langue
  française et fin de la querelle

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l'interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


a querelle montre que les deux littératures, quoi qu’originales et opposées, s’inscrivent dans le mê­me processus culturel. La rupture s’est opérée à la fin de la querelle, lorsque le français, en deve­nant langue européenne, a imposé son « esprit » aux autres nations. Il est utile de s’arrêter à ce pro­blème, car il permet de mieux comprendre les perspectives de Vico qui recherchait déjà dans ses Discours le rétablissement de l’unité culturelle. Celle-ci s’est manifestée, dès l’abord, dans les échan­ges répétés entre les deux littératures. S’il est vrai que l’humanisme français a été condition­né par l’italien, la littérature italienne a trouvé aus­si son origine dans la littérature française et pro­ven­çale. Les hommes du Trecento, comme ceux du Cinquecento en eurent une connaissance éclai­rée. Il convient de se souvenir aussi qu’Ario­sto et Tasso ont eux-mêmes emprunté la matière de leurs poèmes à la tradition héroïque française.

Par ailleurs, l’unité culturelle se retrouve au ni­veau même de la querelle puisqu’en France elle a exploité des thèmes et des formes utilisés dans la tradition italienne. Un mot, principalement, prend valeur de symbole, celui d’« excellence », qui a caractérisé la querelle en France et son surgis­sement dans le De vulgari eloquentia de Dante, qui s’était préoccupé de la langue vulgaire italien­ne dans le cadre d’une démarche plus vaste, com­prenant les langues d’oïl, d’oc et les dialectes de la langue du « si ».
   Il importe de souligner que, dans cette confron­tation, Dante a cherché à se frayer un chemin entre le niveau linguistique et le niveau littéraire. Il a découvert ces qualités dans la langue vulgaire du stil nuovo, qui est le plus excellent de tous les dialectes italiens, comme du français et du pro­vençal (41). Il a proposé cette langue comme mo­dèle de style. La querelle des langues était appa­rue, portant en elle cette exigence de purisme, ainsi que cet esprit de rivalité qui l’a marquée dans toute son histoire.

L’unité des deux littératures s’est exprimée plus profondément dans le mot « barbares » qui tra­hissait dans la conscience des deux peuples l’exis­tence d’un complexe culturel. Les Français avaient été anti-Romains par instinct, agissant avec l’héroïsme et la violence du barbare, parce qu’ils voulaient démontrer qu’ils n’étaient pas des serfs, mais les véritables héritiers de la culture classique, comme le furent les Romains ; par contre, les Italiens s’étaient comportés en hom­mes libres par leur naissance, étant fils légitimes des Romains. Ils avaient affiché cette liberté dans la noblesse raffinée du style, dans la solennité, la complexité et l’allure romaine du discours. Ils l’avaient surtout affirmée dans leurs mœurs et dans la façon de considérer les étrangers avec une supériorité naturelle et sans problème.

Les deux littératures s’étaient développées com­me la vie de jumelles qui possèdent une person­nalité propre. Les Italiens se sont inscrits dans un processus de continuité sans rupture. Même en prenant conscience d’égaler les anciens, ils de­meurèrent néanmoins attachés à ces auteurs comme à des frères aînés. Leur humanisme s’est caractérisé par la prise de conscience de demeurer dans une même famille spirituelle.
   Au contraire, les Français ont été dominés par un instinct de rupture. Tout en ayant étudié les auteurs anciens, latins et grecs, ceux-ci ne leur ont servi que de moyens philologiques et techniques pour se développer, et non pour se comprendre eux-mêmes. Ils se retrouvaient dans les origines de l’histoire carolingienne qui leur était propre, dans l’art roman et non romain, dans l’esprit de la chanson de geste, et non dans le mythe d’Énée (42).
   Sans doute ces affirmations pourraient-elles être contredites si l’on se réfère à l’estime que des auteurs comme Corneille, Racine et Boileau por­taient aux anciens. Cependant elles gardent une valeur approximative, manifestant une exigence générale de la culture.
   Les deux humanismes se distinguent non par la philologie, mais par l’éthique et l’esthétique. En art et en littérature, l’humanisme italien s’est éloi­gné de tout élément issu du Moyen-Âge, considé­ré comme impur et barbare. Borromini, un des grands artisans du baroque, sera accusé de barba­risme lorsqu’on aura découvert dans son archi­tecture des éléments gothiques. Au contraire, en France, les formes humanistes du style se sont laissées jumeler à des formes du Moyen-Âge. C’est pourquoi la langue française n’a opposé au­cune résistance à entrer dans des domaines spéci­fiques du Moyen-Âge, comme la philosophie et la théologie, tandis qu’en Italie le refus du Moyen-Âge a longtemps tenu les Italiens éloignés de ces domaines confiés au latin des écoles. L’italien s’est comporté comme un prince qui, pour ne pas déroger à sa propre noblesse, s’est refusé à gérer ses biens.

En Italie, l’humanisme poursuivait une finalité ; en France, il n’était qu’un moyen. Pour les Fran­çais, la finalité se situait dans leur vie, dans leur empire politique et culturel. La culture italienne avait été idéaliste, dépassant toute division de classes et de nationalités pour atteindre une unité européenne dans l’humanitas offerte par le latin. Elle fut une culture « centrifuge », se répandant jusqu’à se perdre. Même à l’heure où ils n’avaient plus rien à dire, les Italiens faisaient commerce des formes dans l’Europe entière : formes d’expression et du dire, du geste et de la coutume, qu’ils tiraient des immenses réservoirs de leurs ateliers d’art.
   Au contraire, la culture française a été « centri­pète », toujours parisienne et royaliste (43). L’ins­trument de cet empire a été la langue, œuvre que les Français ont créée avant toute œuvre, plus puissante que les armes, la seule à effacer cet aspect « barbare » que les Italiens, même au Cin­quecento ont vu en eux (44). Par elle, le génie des Français est devenu « plus élégant et plus gentil » que celui des latins (45).




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312450 : 27/08/2017