ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)7- Le « cogito » cartésien |
72- Le doute dialectique des |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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u chapitre précédent, j’ai décrit le doute cartésien comme une opération rhétorique par laquelle le sujet se persuade que les connaissances acquises sont fausses. Le sujet ne se trouve en face de sa réalité pensante qu’à la fin du doute, après avoir été libéré de l’illusion émanant du vraisemblable. Ainsi le doute aurait-il un caractère méthodologique et libérateur, par lequel il se distinguerait du doute sceptique et dialectique des écoles anciennes. Le premier doute avait été affirmé par l’impossibilité de retrouver les fondements de la certitude des sciences. En effet on avait constaté que, même dans les affirmations les plus certaines, la raison se fondait sur des principes qu’elle ne pouvait pas prouver apodictiquement. De plus, il lui était impossible de savoir si ces affirmations étaient conformes aux choses. Bref, la raison prétendait énoncer des propositions vraies sans posséder de certitude à l’égard des principes ou de leur valeur objective. Le doute sceptique présentait donc un caractère critique, puisqu’il tendait à fonder la prétention de l’homme sur la vérité. Il indiquait une prise de conscience bouleversante, tragique, qui pourrait être appelée, en termes modernes, la « mort de la science ». Le mouvement sophiste était issu de cette mort. Puisqu’il était impossible de retrouver le sens du discours humain en se rapportant aux choses, il ne restait qu’à le comprendre par rapport aux hommes. La parole cessait d’être signifiante pour n’être qu’acte de communication, véhicule des relations entre les hommes. Elle n’énonçait pas le vrai et le faux, mais elle excitait, modifiait, émouvait l’âme par la persuasion. Puisqu’il n’y avait plus de vérité, il n’y avait plus de philosophie, qui était supplantée par la dialectique. Le réel, l’être, n’était que l’apparaître d’un devenir que personne ne pouvait toucher du doigt. Aussi, de contemplateur de l’être et de chercheur de la vérité, l’homme devenait questionneur et faiseur de vraisemblable. Socrate, et après lui Platon et Aristote, se dressèrent contre les sophistes en utilisant le doute comme instrument de combat. En effet, comment auraient-ils pu argumenter en faveur de la vérité, si les sophistes l’avaient reniée ? Il ne leur restait qu’à assumer le doute pour le retourner contre eux, afin de les persuader que leur affirmation était fausse. Ainsi au doute sceptique s’est opposé le doute dialectique, qui fut une argumentation tendant à conduire l’adversaire à douter de ses propres opinions, dans l’espoir que la prise de conscience de ses contradictions suffirait à le contraindre à reconnaître la vérité. À ce point, les méthodes platonicienne et aristotélicienne se révélaient particulièrement faibles. En effet, pour renverser la situation sceptique, il ne suffisait pas de persuader, il fallait encore convaincre que la vérité était possible. Les sceptiques pouvaient bien reconnaître leurs contradictions, et cependant demeurer convaincus qu’elles étaient inhérentes à la pensée, puisque le réel était fuyant et insaisissable. Les philosophes grecs n’avaient pas compris, pratiquement au moins, que la persuasion n’engendre que l’opinion, et que, chez les sceptiques, une opinion pouvait bien s’opposer à d’autres sans les renier pour autant. Descartes a affronté le problème du doute dans une situation analogue à celle de Platon, réagissant à une culture baroque qui, comme celle des sophistes, était essentiellement rhétorique (5). En lui, le baroque a trouvé son propre Platon. Avec le philosophe grec, Descartes partageait l’attrait des altitudes sans en éprouver le vertige, l’exigence d’un a priori métaphysique, et la conviction que la vérité est intuitive. Il avait compris que la prise de conscience de la non-contradiction des premiers principes ne suffisait pas à en fonder la certitude. Il fallait trouver un critère objectif et subjectif, capable d’offrir la note distinctive de la manifestation de la vérité dans l’esprit. Nous avons déjà décrit cet aspect du doute, mais il importe d’en approfondir le moment conclusif. Selon l’ancienne méthode dialectique, le doute devait conduire l’adversaire à se persuader qu’en reniant la vérité, il l’impliquait. Nous avons souligné l’inefficacité de cette persuasion, dans la mesure où, ne produisant qu’une opinion, elle ne pouvait franchir les limites du vraisemblable. Descartes a évité cet écueil en ramenant la fonction de l’imagination à son niveau zéro, la vidant entièrement du vraisemblable, qui n’est plus, alors que le « je pense » existe hors de toute apparence. |
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t312720 : 19/09/2017