e caractère gnoséologique du doute vichien implique de considérer le vraisemblable en opposition au cogito cartésien. Tandis que, pour Descartes, le vraisemblable était illusoire, pour Vico il était un fait revendiqué par la conscience pour sa propre existence. Pour l’un, le doute se fondait sur le vraisemblable comme un ennemi, pour l’autre il ne cherchait pas « à abolir, mais à parfaire ».
Le « je » cartésien considérait le doute comme un service que l’imagination devait lui rendre pour la manifestation de sa vérité. Le « je pensant » n’était pas à proprement parler à la recherche de la vérité, mais d’une situation de liberté et de pureté, lui permettant de s’en approcher.
Chez Vico, le « je pensant » est celui du doute. Mais douter représentait déjà une activité nouvelle par rapport à celle qu’il avait des choses et de son être. En doutant, il se plaçait en situation de droit, en face de ses connaissances qui n’étaient faites que de conscience. Il s’interrogeait pour savoir si ces faits étaient vrais, mais il lui aurait été impossible de s’interroger s’il n’avait pas porté en lui-même le « vrai », c’est à dire une unité de mesure lui permettant d’aller au-delà des faits. Ainsi, en doutant sur les faits de sa propre existence, il se posait en existant de droit.
Vico, comme Descartes, a posé des équations à clarifier, en premier lieu celle du vrai et celle de l’être. Rappelons que l’interrogation avait été posée en ces termes : « si je suis ou ne suis pas ». Il s’agissait de savoir si l’être dont nous prenons conscience est véritablement être, ou illusion. Les mots « être » et « vrai » jouaient ainsi un rôle, pour l’un matériel, pour l’autre formel. Ainsi la recherche formelle du « vrai » et du « faux » coïncidait avec celle, matérielle, de l’« être » et du « non-être ». L’affirmation de l’existence du vrai dans le sujet impliquait l’existence en lui de l’être.
Puisque l’être existe dans le sujet, il est idée. Cette seconde équation indiquait déjà que le cogito vichien était un horizon sans étoiles, puisqu’il ne possédait pas de vérité toute faite : on n’y trouve que la lumière. L’idée de l’être n’était pas l’idée de quelque chose, ni même de la chose, mais chose comme idée, c’est à dire « choséité », ou raison objective transcendantale des choses. Il a affirmé aussi que cette idée est Dieu.
Il m’est impossible d’approfondir ici cette affirmation, que je me propose d’analyser ultérieurement. Je voudrais seulement préciser qu’il ne s’agissait pas de Dieu comme « substance », mais en tant qu’objectivité transcendantale métaphysique, qui s’inscrivait à la fois dans le cadre des recherches gnoséologiques de Ficino et de Malebranche et dans celles de Bruno. Vico n’a pas aperçu au niveau transcendantal la distinction entre logique et métaphysique, ouvrant le chemin à la philosophie de Rosmini et de Gioberti. Ainsi les caractères qu’il découvrait dans l’être – éternité, infinitude et liberté – étaient des propriétés à la fois logiques et métaphysiques.
Au terme de ce processus se pose une interrogation sur le cogito. Vico s’est-il désintéressé de l’existence du cogitans ? Son souci avait sans doute été de relever l’existence du vrai et de l’être ; mais la reconnaissance de l’existence du vrai entraînait inéluctablement celle du sujet doutant comme sujet pensant. Ainsi le processus critique de Vico n’aurait été qu’un cercle gnoséologique : je doute – le vrai est – je pense, qui se serait séparé du cogito cartésien sur deux points, l’un concernant la relation du cogito au esse, l’autre du « je suis » au « il est ».
Pour Descartes, le passage du doute au « j’existe » avait exigé la présence du « je pense », puisque le doute n’était pas de la pensée à proprement parler, mais de la persuasion rhétorique. Chez Vico le sujet du doute était, au contraire, le pensant lui-même, non encore parvenu à la complète conscience de soi. Ainsi le « je doute » de Vico était le « cogito » de Descartes.
Quant au second rapport, il convient de préciser que l’expression « le vrai est » n’affirmait pas l’être subsistant, mais l’être comme idée de sujet, en tant qu’objectivement transcendantale, dévoilant le sujet doutant comme sujet pensant. En effet l’action du doute est pensée, dans la mesure où il n’est pas imagination, mais interrogation et enquête sur l’être du vraisemblable.
Ainsi, la critique vichienne aboutissait à la position critique du « je pense », quant à son existence et à son essence d’être pensant, alors que le doute cartésien conduisait à l’affirmation de l’existence du « je pense » sans le dévoiler dans l’être pensant (13). Il convient de dire, en ce cas, soit que la nature du « je pense » restait inconnue au cogito, soit qu’elle était connue d’avance de façon acritique et dogmatique. Cet aspect critique des deux doutes fera l’objet d’une étude au chapitre suivant.