ANALYSE RÉFÉRENTIELLE |
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Ennio FlorisLa rupture cartésienne et la naissance
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Le De nostri temporis studiorum ratione (1708)7- Le « cogito » cartésien |
74- La « res cogitans » |
Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
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appelons les paroles par lesquelles Descartes a décrit dans la seconde Méditation le passage du doute au « j’existe » : « Je me suis persuadé qu’il n’y avait rien du tout dans le monde, qu’il n’y avait aucun ciel, aucune terre, aucun esprit, ni aucun corps : ne me suis-je donc pas persuadé que je n’étais point ? Non certes, j’étais sans doute, si je ne me suis persuadé, ou seulement si j’ai pensé quelque chose... De sorte qu’après y avoir bien pensé et avoir examiné toute chose, enfin il faut conclure et tenir pour constant que cette proposition : je suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois dans mon esprit » (10). Il faut distinguer deux moments dans le processus méthodologique cartésien : celui du doute et celui de la persuasion. En effet, puisque le doute est dialectique, il a pour tâche d’éloigner le sujet de toute adhésion au vraisemblable et de le persuader que le contraire du vraisemblable, c’est à dire le faux-semblable, est vrai. Descartes a affirmé explicitement qu’il était convaincu de la non-existence du monde. Concernant la non-existence du sujet lui-même, il a posé une interrogation qui pourrait être interprétée autant de façon négative que positive : « ne me suis-je donc pas persuadé que je n’étais point ? » Dans l’hypothèse où il ne s’était pas persuadé, le processus critique devrait être interprété de la manière suivante : ayant douté qu’il n’existait pas, le sujet doutant s’aperçoit qu’il lui est impossible de s’en persuader, car l’affirmation qu’il n’existe pas impliquerait la négation de lui-même, comme sujet de cette affirmation. Il existe donc par l’impossibilité de se persuader qu’il n’existe pas. Dans la seconde hypothèse, il convient de considérer l’interrogation prononcée par le « je » pensant pur qui sort de sa parenthèse pour tirer les conséquences du doute, confiée à la fonction imaginative de l’ego. Le processus du doute passe du niveau dialectique à celui de la réflexion critique. Le « je » constate qu’il s’était bien persuadé que le monde n’existait pas. Il s’interroge sous une forme ambiguë, à la fois douteuse et affirmative : « ne me suis-je donc pas persuadé que je n’étais point ? » Cette interprétation nous offre la possibilité de replacer le cogito dans sa logique, et d’y découvrir une tension correspondant à la crise de conscience manifestée à la fin du XVI° siècle. Je reviens une fois encore aux origines du Quattrocento, pour souligner l’accent mis par les humanistes, détournés de la métaphysique, sur le pouvoir créateur de l’homme. L’ouverture à l’histoire s’était substituée à l’attente eschatologique, la vertu avait été supplantée par la bravoure, la philosophie par l’art, la recherche de l’être par celle du verbe (philologie). Ainsi l’homme avait été défini comme existence, dont l’être était son propre accomplissement par les œuvres. La crise fut ressentie par tous ceux qui recherchèrent l’être au-delà de l’existence. Elle fut, avant tout, accusée par les théologiens dans les disputes avec les premiers humanistes, comme Dominici, mais d’une façon bouleversante pour toute l’histoire future par Luther et les Réformateurs qui virent dans cette exaltation de l’œuvre la déification de l’homme à l’encontre du Christ. En se confiant dans les œuvres, l’homme se détachait de son salut qui est Grâce. L’expérience cartésienne semble, dans la recherche de la certitude, retracer au niveau philosophique l’itinéraire mystique de Jean de la Croix. Au départ, on retrouve chez l’un et chez l’autre la conviction que l’œuvre de l’homme n’est que du vraisemblable, ainsi que la volonté de pénétrer dans l’univers d’apparence afin d’en dévoiler le non-être total, l’absence de toute activité humaine en face de l’être. Dans cette négation, nous retrouvons l’affirmation de l’existence sous l’apparence, l’une par la foi, l’autre par l’évidence. Ce parallèle pourrait être poursuivi avec d’autres expériences de cette crise, surtout avec celle que Cervantes projette et dramatise dans Don Quichotte. Sous la devise du chevalier, son héros est la personnification de l’homme idéal propre à la Renaissance qui, selon la description de Machiavel, s’oppose au destin et aux hasards de la nature par son art et ses exploits. Ainsi l’homme de la Renaissance, qui avait cherché à exister selon le dignité et son pouvoir créateur, est dévoilé dans sa réalité. Il était un aliéné, il était don Quichotte de la Manche poursuivant des rêves et des fantasmes de grandeur ; il ne pourra recouvrer ses sens que lorsque toutes ces images auront été anéanties, c’est à dire lorsqu’il aura renié les œuvres sur lesquelles il avait fondé son être propre pour surgir dans la nouvelle existence d’un homme, et non d’un chevalier ou d’un magicien. En me référant à la fonction pensante du cogito, j’avais déjà relevé son caractère faustien. Je viens de mettre en parallèle le cogito et l’expérience mystique, en considérant le doute comme la purification du cogito. Ce nouveau parallèle se justifie si l’on considère le processus de doute lui-même, où l’homme est abandonné à la logique de son imagination, ne poursuivant que des images, cependant symboles des œuvres que l’homme a pensées et faites. Comme don Quichotte, l’ego cartésien découvre sa véritable existence à partir de la folie qui anéantit en lui toute foi dans les œuvres. Descartes a intériorisé en lui-même la folie de don Quichotte pour découvrir sa véritable existence. Ces considérations manifestent dans le cogito l’expérience d’un drame intérieur qui, propre à Descartes, a correspondu cependant à une crise de culture et à la dialectique de l’esprit humain. Elles impliquent au préalable, entre le doute et la pensée pensante, une tension profonde que Descartes a semblé méconnaître. Dans le Discours, Descartes a affirmé la parfaite adéquation du cogito et du doute, car dans la séquence « cogito, ergo sum », le cogito n’est que le sujet doutant : cogito parce que je doute. Dans les Méditations, le doute et le cogito manifestent un certain écart. Il semblerait aussi que le processus critique passe du doute à l’existence sans que le cogito apparaisse. À une étude plus attentive, le « j’existe » s’appuie sur le « je pense », mais l’identité entre le « je doute » et le « je pense » peut-elle expliquer leur tension ? Rappelons que, dans la Règle XII, Descartes a inclus dans le « je pense » à la fois la mémoire, l’imagination, l’ingenium et la pensée pure (11). Le cogito est ainsi le sujet pensant, présent en différentes fonctions de l’esprit. La dialectique du doute est rendue possible par le rapport entre l’unité de la conscience et ses différentes fonctions. Dicté par le « je pense » comme exigence de vérité, le doute s’exerce au niveau de la fonction imaginative, productrice de vraisemblable. À ce point, il convient d’approfondir la relation entre le « je pense » et le « j’existe ». Il est possible de concevoir le doute à travers les étapes suivantes : je doute, j’existe, je pense. Je doute sur toutes les connaissances acquises concernant les choses, aussi bien que sur l’existence du sujet lui-même. Mais au moment où le doute s’accomplit dans la persuasion que je n’existe pas, je me découvre existant dans l’acte de l’affirmation que je n’existe pas. Nié dans l’instance de la proposition comme objet, je suis existant en acte comme sujet. Descartes a affirmé que le « j’existe » est vrai, non seulement au niveau de l’expérience, mais aussi de celui de l’énoncé. Il faut cependant que la proposition « j’existe » ne soit pas considérée en soi, mais en relation avec la pensée pensante ; elle est donc vraie dans l’acte où elle est pensée ou dite. Coupée de l’acte en acte de la pensée, elle deviendrait douteuse, signifiant davantage que la réalité à laquelle elle se réfère. Au cours des Méditations, le « j’existe » a été exprimé de manière différente par les expressions « je suis une chose qui pense » ou par « substance pensante », sans que Descartes ait accusé un changement de sens (12). Cette dernière expression du cogito constitue le point de désaccord dénoncé par Vico. Il faut reconnaître que les mots « res » et « substance » n’étaient pas inclus dans la première expression : ils avaient été trop employés dans la philosophie des écoles pour ne pas être piégés. Faut-il l’expliquer comme étant une expression symbolique se rapportant directement à l’expérience du cogito ? Les mots « res » ou « substance » ne désignent pas la notion de res ou substance de la philosophie, mais le « je suis » de l’expérience. Ainsi le cogitans n’est pas à proprement parler un attribut, mais le symbole du « je suis ». L’énoncé « res cogitans », chose ou substance pensante, ne serait que l’expression symbolique du rapport entre la pensée et l’existence de l’expérience critique. La pensée existante est res, substance en ce qu’elle s’affirme en opposition à l’apparence du vraisemblable. |
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t312740 : 20/09/2017