ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



Chronique  de  Marie-Madeleine



Roman





Chapitre 13 - Béthanie :

Le baiser



Magnum Dictionarium latinum et gallicum, de P. Danet, MDCXCI





Présentation


Texte intégral :

La rencontre d’amour

Les disciples du Royaume

Le banquet des noces

Itinéraire d’un bâtard

Le défi

La fugue

Sur le pont du bateau

Chemins d’amour

Dalmanutha

Transfiguration et insurrection

La Dédicace

Correspondances

Béthanie
- Le second amour
- Sous le signe de Jonas
- Pâque
- L’onction
- Le baiser
- Adieu

Gethsémani

Le procès

Golgotha

L’enterrement

Le jour de la Pâque

Le tombeau vide

Les semeurs


ous sommes restés silencieux, plongés dans une nuit intérieure de rancunes, de doutes et d’angoisses. As­sise dans mon coin, je me sentais devenue objet de mépris, épouse dont on détourne les regards après lui avoir ôté le voile et l’anneau de noces.
   Mon humiliation était bien plus profonde qu’au jour de la Dédicace, où j’avais été méprisée par des étrangers ; maintenant, j’étais rejetée par les amis de l’époux ! Le comportement de Jésus me chagrinait aussi, lui qui m’avait négligée pour s’entretenir avec Judas comme avec un frère : il tenait plus à lui qu’à moi ! Je me suis aussitôt reproché cette rancune : le signe de Jonas était si présent à l’esprit de Jésus qu’il lui avait fait perdre toute prudence, au point de se comporter comme une colombe – ce que signifie le nom du prophète. Je pris peur pour lui, persuadée que Judas ne pouvait agir que comme un serpent. Toute à ces pensées, je restais silencieuse, le visage enfoui dans mes mains.

Quelqu’un s’approcha de moi et me prit la main : c’é­tait la mère. « Maria, j’ai pour toi un cadeau qui te surprendra ». Elle me mena près de Jésus et, de sa poche, tira un petit paquet serré d’un ruban de tissu fin. Je l’ouvris, il contenait un anneau, avec une co­lombe d’argent posée sur le dos d’un serpent d’or en­roulé, dont les têtes étaient séparées par un rubis.
- Magnifique ! Quoique je n’en comprenne pas la si­gnification... Tu me fais un cadeau royal, mère ! Ne te prive pas d’un bijou qui doit t’être précieux, car je ne te l’ai jamais vu porter.
- S’il m’avait appartenu, je te l’aurais donné depuis longtemps. Il était à ta belle-mère.
Myriam ? Elle est donc revenue te voir, pour que tu m’offres son anneau ?
- Oui, Maria. Ayant appris ton mariage avec Jésus, elle a souhaité que vous soyez unis par son amour, couverts du même mystère qui l’a fait souffrir.

   Son visage s’est rembruni et je l’ai serrée dans mes bras : « Embrasse Myriam de ma part, et aussi de cel­le de son fils, si elle revient chez toi ». J’ai regardé Jésus, il était soucieux, hanté comme moi par cet an­neau.
- N’est-il pas surprenant, Rabboni, que cet anneau me soit offert au moment où Judas vient d’inter­rom­pre la cérémonie des noces ? Quelle signification at­tri­buer à cet objet ? Ce rubis, comme une goutte de sang entre le serpent et la colombe ! J’aurais préféré un anneau qui suggérât notre relation d’amour... Une colombe blessée à mort par un serpent ! La colombe est-ce moi ? Serais-tu le serpent qui me tue ? Mais tu n’es pas serpent, tu es plutôt colombe si le nom de Jo­nas répond bien à ce sens ! Alors, le serpent ne peut être que Judas, qui se dit rusé comme lui et dont la fuite dans l’ombre suggère ce reptile qui nous a mordus jusqu’au sang.
Maria ! Que l’humiliation que tu as subie ne te fas­se pas oublier qui a offert la bague : Judas ou ma mè­re ?
- Rabboni, elle aussi a été blessée dans son amour comme une colombe mordue par un serpent.
- Oui, ma mère a été meurtrie dans son amour, et le venin de sa blessure est passé dans mes veines ! Mais l’anneau de son mariage a pour effet d’effacer cette blessure et de la sublimer. Ce qu’il symbolise vient de loin, sans doute de l’Égypte, qui voit le sens profond de la vie au-delà de la mort. La colombe re­présente la simplicité de l’âme dans son approche du monde : sans conscience du danger, elle ignore que de l’ombre, où elle cherche le repos, peut surgir le mal.
- Le serpent, qui jaillit des anfractuosités de la terre, nous hante de ses yeux verts et se revêt de la couleur des choses qui nous attirent.
- Le saurais-tu si tu n’avais été, toi même, attirée par le serpent ?

   Ces paroles m’ont attristée, me remémorant d’an­ciennes atteintes.
- Rabboni, je suis aussi une colombe blessée par le serpent.
- Et prudente aussi comme lui ! Dans les anciennes civilisations, le serpent est également symbole de di­vination : l’Esprit de Dieu, devenu âme de notre chair, surgit en nous et nous dévoile le sens des cho­ses et de la vie. Par notre expérience du mal, Dieu nous en délivre ; par le serpent, Il nous préserve des morsures des serpents. Te souviens-tu que Moïse, au désert, éleva un serpent afin que le peuple, en le re­gardant, fût guéri de ses morsures ?


Les disciples s’étaient approchés et formaient un cer­cle autour de nous. Salomé, par-dessus mon épau­le, regardait attentivement la bague.
- À mon avis, cet anneau représente plutôt l’amour que le mal. Regarde bien, la colombe n’est pas bles­sée ni le serpent agressif. On dirait qu’ils s’abreuvent à la même source.
- Tu as perçu le véritable sens, reprit Jésus. Par ton chant, tu t’es accoutumée à charmer les serpents et tu es devenue divinatrice. Puis, se tournant vers moi : Tu porteras l’anneau de la nouvelle alliance, car la colombe s’abreuve à la même source que le serpent.
- Tu m’éclaires sur ton intention de faire de notre enfant le signe de l’alliance. Sera-t-il pour nous com­me le serpent élevé dans le désert par Moïse ? En même temps, ne sommes-nous pas l’un et l’autre des colombes ? En contemplant notre fils, nos blessures seront guéries et notre union appellera les hommes à vivre selon l’alliance d’amour.
- Peut-être ton commentaire a-t-il dépassé ma pen­sée, mais qu’importe ? Ton intuition facilitera aux hom­mes la compréhension de mon message.
- Rabboni, passe cet anneau à mon doigt, afin de sceller notre amour dans l’alliance, et celle-ci dans notre amour. Mais auparavant embrasse-moi, de la même étreinte qui, dans cette bague, réunit le serpent et la colombe.

Embrasse-moi du baiser
dont toi seul as le secret :
le baiser que Dieu a laissé sur ta bouche
lorsqu’Il t’a créé
à mon image.
Le baiser dont le soleil hante la lune
pour qu’elle rende féconde la terre.

Voici, je ferme les yeux
et je deviens aussi
sourde et muette,
pour que ton baiser descende sans peine
dans mon cœur :
un baume que je garderai
pour l’enfant que je porte dans mon sein.
Quand il naîtra
ton baiser aussi remontera sur mes lèvres,
comme un parfum.

J’embrasserai mon fils
de ton baiser,
du baiser que tu as reçu de ta mère,
que les filles d’Israël ne t’ont pas donné,
que la Sulamite a convoité en songe.

Le sourire fleurira sur ta bouche,
ô fils,
au parfum de ton père,
à la douceur de l’haleine de ta mère.

   Jésus prit ma main et me passa l’anneau, puis il m’embrassa. D’un coup, les événements de ma vie se déroulèrent à la vitesse d’un regard. Ce baiser des­cendait le cours de mon existence, comme le seau dans le puits. Je retrouvais des lieux, des personnes, des désirs fugaces, mes angoisses et mes illusions. Je me suis contemplée au fond de ce puits, dans un re­flet de moi-même qui n’apparaissait que pour s’éva­nouir et éclater de nouveau. Où étais-je ? Au mo­ment ultime du cours de mon existence, où l’âme se mourait dans un retour à son origine ; une plongée dans l’oubli qui me disposait à des sensations nou­velles. J’eus le sentiment d’avoir célébré mon ma­ria­ge par ce baiser, à la fois réalité et symbole rituel dont Jésus et moi étions les époux et les prêtres.


Je m’aperçus que les frères l’avaient compris et avaient été saisis par le même esprit. Débordant de joie, ils s’appelaient l’un l’autre pour s’embrasser. Ce comportement m’aurait paru étrange si je n’en avais été moi-même affectée. Ils s’étreignaient comme s’ils s’étaient quittés depuis longtemps, alors qu’ils n’a­vaient cessé de vivre ensemble. Chacun trouvait en l’autre un trait nouveau, une couleur, un regard, un accent qu’il croyait n’avoir pas encore perçu. C’était la fête du retour des frères.
Jean, disait Jacques à son frère, que tu as changé depuis que Salomé a ravi tes yeux : tu as perdu ta timidité, je te trouve plus mûr !
Jude, demandait son frère Joseph, où as-tu pris le sourire que je vois fleurir sur tes lèvres ? Sans doute l’as-tu dérobé à Jeanne !
- Ton baiser me comble de joie, déclarait Thomas en embrassant Jeanne, je crois voir nos mères, si éloi­gnées dans le temps, sortir du Schéol dans toute leur splendeur.
- Ne m’embrassez pas trop, criait Salomé, car vous me pousseriez à chanter, alors que je ne trouve pas les mots pour manifester l’amour que j’éprouve. Et toi, disait-elle à Céphas, tu ne pêches plus de pois­sons, mais ils te prennent à l’hameçon ! Et elle l’em­brassait sur la bouche. Puis elle lança : « Que faisons-nous, frères ? Nous nous embrassons sans recevoir le baiser des époux ? » Et, s’approchant de Jésus et moi : J’ai gardé une place dans mon cœur pour abriter votre baiser.

   Elle nous a embrassés, puis les autres se sont ap­prochés, l’un après l’autre, pour nous serrer dans leurs bras. Jésus, m’enlaçant toujours de son bras droit, s’est adressé à eux : « Nous nous affligeons pour un rendez-vous manqué de Dieu au temple, le jour de la Dédicace, mais j’ai compris pourquoi Il n’est pas venu : pour se manifester comme époux, Il ne pouvait pas apparaître dans ce temple fait de la main de l’homme, mais dans celui que Ses mains avaient formé, l’homme lui-même. Il ne pourra ha­biter désormais que dans le cœur de ceux qui s’ai­ment. Nous recherchions comme signe visible de sa présence la foudre, le tonnerre, le vent, le tremble­ment de terre, quand Il ne pouvait se manifester que dans le souffle même par lequel Il nous avait créés. Pour bâtir le monde, Il avait usé de sa puissance en séparant les eaux, en distinguant la nuit du jour, la terre ferme des océans ; par un simple baiser, Il nous a faits âme vivante.
« Nous venons de nous étreindre de ce baiser par le­quel Il nous a faits hommes. Chacun de nous vient de loin, après avoir franchi les obstacles des contrées, des langues et des races qui le séparaient des autres. En nous unissant dans ce baiser, nous nous sommes reconnus frères. Telle est la Pâque qui marque le re­tour aux origines et la nouvelle marche du monde. Il ne s’agit plus pour nous d’annoncer une parole d’a­mour, mais de répandre l’amour, même si l’in­com­préhension des hommes nous laisse muets, et de nous reconnaître fils de Dieu.



RETOUR

Hommes de Galilée
pourquoi jubilez-vous,
alors que goutte d’huile ne coule
du pressoir de Jérusalem ?

Nous jouons en parabole
l’annonce de la parole.
Vivant en détresse
par la haine et la colère,
les hommes fêtent en liesse
le retour du frère.

Voici l’époux qui vient,
assis sur un bateau;
il vogue sur les fleuves
qui sillonnent les champs.
On ne voit pas de sceptre
ni d’épée à ses flancs.
La gauche sur la tête
de son épouse enceinte,
il lève sa droite
pour sa protection.

Souriant de ses yeux
la jeune épouse chante,
comblée dans son bonheur :
Je suis Maria,
l’aimée des nations :
je réponds au désir
de l’amour qui revient
dès le commencement.

Apaisez-vous, ô vents, au gai passage
des doux époux. Jetez, branches, vos
[fruits.       
Femmes, allez tranquilles à vos puits
sans craindre des embûches au rivage.
Le loup broute, innocent,
l’herbe avec l’agneau;
dans le nid de l’oiseau
pond ses œufs le serpent.
Un anneau bariolé descend du ciel
cerclant la terre des couleurs du jour :
C’est le retour
aux noces qu’a promises l’Éternel.




Roman achevé en 2002




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