ourquoi Jean n’est-il pas descendu ? « Jean, dors-tu encore ? » a lancé Salomé vers la chambre. Jean avait entendu et descendait lentement, l’air absent.
- Pourquoi n’es-tu pas descendu ? Le procurateur nous rend le corps de Jésus. On pourra l’embaumer, lui donner une sépulture digne de lui... Maria l’a appris par une lettre de JJoseph : il va venir nous rendre visite avec Simon, et peut-être manger la Pâque avec nous !
- Ces nouvelles sont réconfortantes, mais elles me semblent aujourd’hui moins importantes qu’hier : en effet, dès l’aube, j’ai été saisi par un passage des Écritures où j’ai trouvé la clé de l’énigme.
- Quelle énigme ?
- Celle de la mort de Jésus.
- Quelle coïncidence ! Maria et moi, nous avons eu la sensation qu’un jour nouveau pointait pour nous à l’horizon... que la Pâque venait vers nous, puisqu’il nous avait été impossible de nous y rendre.
- Je ne sais pas si nous avons compris la même chose ! Les femmes me surprendront toujours : l’intuition leur permet de saisir sur le champ ce que nous découvrons nous-mêmes après mure réflexion. Peut-être Dieu vous a-t-il donné la faculté d’appréhender les événements à l’aube de leur naissance... Mais nous en reparlerons, voici nos frères.
J’ai ouvert la porte aux disciples, qui étaient tous encapuchonnés, la robe serrée aux hanches par une ceinture de cuir, le sac au dos. Je les ai accueillis sans un mot : un fossé s’était creusé entre nous. Ils préféraient ne pas parler et ne pas trahir leur rancœur à mon égard, même si elle était moins acerbe que celle de Judas, et moi je ne tenais pas à leur dévoiler ma souffrance ni à leur reprocher leur lâche abandon de Jésus. Un malaise s’était installé entre nous. Heureusement, Salomé a brisé la glace.
- Comme vous êtes fagotés, frères ! Où allez-vous, en ce jour de Pâque ?
- Nous rentrons chez nous. Et vous, que faites-vous encore ici ?
- Nous attendons pour embaumer et enterrer le corps dans un tombeau convenable : le procurateur nous a répondu favorablement.
- Pour vous, c’est une affaire entendue, a dit Pierre, mais pour nous ?
- Pour vous, tout ce qui est rite funèbre n’est qu’affaire de femmes !
- Ne sois pas vindicative, Maria ; je veux seulement dire que notre présence pourrait laisser croire aux pharisiens que notre intention d’ensevelir un mort cache une arrière-pensée.
- Pour éviter ce soupçon, vous décidez que les morts ensevelissent les morts... Excuse la dureté de mes paroles, mais je ne peux admettre que vous laissiez Jésus aller seul au séjour de ses pères, comme vous l’avez abandonné au moment de sa mort !
- Tu as certainement raison mais, pour nous, rester ici c’est poursuivre un cauchemar. Jésus avait désiré ardemment manger la Pâque avec nous, mais elle a été le début de sa chute et de notre ruine. C’est une fête maudite qui exige, pour être célébrée, que Jésus meure et qu’on retienne son corps hors du Schéol des pères ; alors nous éprouvons le besoin de fuir cette Pâque de mort et d’ombres.
- Crois-tu t’en sortir en fuyant ? Cette mort, ne la porteras-tu pas en toi partout où tu iras ? La mort de Jésus nous pénètre plus profondément que sa vie ne l’a fait en nous.
- Ce cauchemar nous quitte, a ajouté Jean, quand on comprend que cette mort, au lieu de consacrer l’échec de la mission de Jésus, en devient l’accomplissement.
- Qu’est-ce qui te permet d’affirmer cela ?
- La façon dont elle s’est accomplie, Pierre. Peut-être étais-tu trop loin pour saisir toute la portée de l’événement. J’étais présent, avec Maria et Salomé, non en spectateur mais en acteur du drame. Cette mort nous est apparue si atroce, dictée par une telle haine et une telle injustice, qu’elle devenait une énigme. Pourquoi est-il mort ainsi ? Pourquoi les grands prêtres l’ont-ils livré aux Romains ? Pourquoi le procurateur l’a-t-il condamné après l’avoir déclaré innocent ? Pourquoi Dieu l’a-t-il abandonné ? Et si Jésus était coupable à Ses yeux, pourquoi l’a-t-Il condamné par la trahison, le faux témoignage, la dérision, l’outrage, le mépris et le mensonge ? Et pourquoi nous, ses disciples et amis, l’avons-nous trahi et abandonné ?
Pierre s’est mis à pleurer et a répondu :
- Cette question, il l’a posée lui-même avant d’expirer : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » Et Dieu est resté silencieux !
- À ce moment, nous étions dans l’angoisse, incapables de comprendre. Aujourd’hui, je sais que Dieu l’a abandonné parce que sa mort était nécessaire.
- Et pourquoi ?
- Pour sauver les hommes de leurs péchés ! Un passage des Écritures m’est revenu à l’esprit, confirmant cette conviction : dès l’aube, j’ai médité le cantique sur le Serviteur de l’Éternel. Attendez... Il est monté dans sa chambre, en est revenu avec le rouleau du prophète Isaïe et s’est adressé à Salomé : « Toi qui sais psalmodier et qui as exhalé ta plainte au moment de la mort de Jésus, chante ce cantique. En l’entendant de ta bouche, chacun de nous comprendra qu’il s’agit de la lamentation de Dieu lui-même sur la mort de son serviteur Jésus. »