ui croirait ce que nous entendons dire,
et le bras de Yahvé, à qui est-il confié ?
Comme un surgeon il a grandi devant nous,
comme une racine en terre aride.
Sans beauté ni éclat,
sans aimable apparence,
objet de mépris et rebut de l’humanité,
homme de douleur, habité par la souffrance,
semblable à ceux devant qui on se voile la face :
il était méprisé et déconsidéré.
Or c’étaient nos souffrances qu’il supportait
et nos douleurs qui l’accablaient.
Et nous autres, nous l’estimions châtié,
frappé par Dieu et humilié.
Il a été transpercé à cause de nos péchés,
écrasé à cause de nos crimes.
Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui
et c’est grâce à ses plaies que nous sommes guéris.
Tous, comme des brebis, nous étions errants,
chacun suivant son propre chemin,
et Yahvé a fait retomber sur lui
les crimes de nous tous.
Affreusement traité, il s’humiliait,
il restait silencieux.
Comme un agneau conduit à la boucherie,
comme devant les tondeurs, une brebis muette,
il n’ouvrait pas la bouche.
Par coercition et jugement il a été saisi :
qui se préoccupe de sa cause ?
Oui, il a été retranché de la terre des vivants,
pour nos péchés, il a été frappé à mort.
On lui a assigné sa sépulture au milieu des riches,
alors qu’il n’a jamais porté tort
et que sa bouche n’a jamais proféré de mensonge.
Yahvé s’est plu à l’écraser de souffrance.
S’il offre sa vie en expiation
il verra une postérité, il prolongera ses jours
et ce qui plaît à Yahvé s’accomplira par lui.
Après les épreuves de son âme
il verra Sa lumière et sera comblé.
C’est pourquoi je lui attribuerai des foules
et avec les puissants il partagera son butin.
Salomé avait été admirable, vraiment inspirée dans la déclamation de ce chant, comme s’il se rapportait directement à la souffrance de Jésus sur la croix, au point que ses paroles n’avaient pour nous d’autre sens que ce que nous avions éprouvé à ce moment-là. La parole du prophète s’était faite chair dans sa bouche ! Lorsqu’elle s’est tue, nous sommes restés muets, replongés dans un événement qui était pour tous un cauchemar. Notre silence a été si long que Salomé a senti la nécessité de le rompre :
- Frères, j’ai déclamé sur un ton presque joyeux, malgré mon angoisse. Dieu chantait par ma voix ; la mort ne me semblait un échec ni pour Jésus, ni pour nous, mais l’accomplissement de sa mission prophétique. Mais qui est ce Serviteur ? Comment ce chant, composé pour lui, est-il devenu dans ma bouche un chant sur Jésus ?
-
À la synagogue, j’ai entendu plusieurs commentaires, a repris Jacques. Certes, Salomé, la lecture par les Rabbis ne peut égaler la tienne, en élan ni en passion, mais j’y ai trouvé des réponses à tes questions. En effet, selon la tradition, le Serviteur de l’Éternel est le prophète lui-même, ou bien le peuple exilé, objet de mépris et d’outrages, soumis aux privations et à l’esclavage. Parfois, le prophète parle en son nom, d’autres fois au nom de Dieu, ou encore au nom de tout le peuple juif ; celui-ci, tout en se considérant pécheur, découvre en son sein des justes qui souffrent de peines beaucoup plus grandes que celles que leurs propres péchés leur auraient fait mériter. Ils ne peuvent donc qu’expier pour les autres : leurs souffrances et leur mort ont valeur de sacrifice.
« Quoique ce chant rapporte les souffrances du peuple déporté, il évoque aussi allégoriquement celles du peuple dans les temps futurs ; mais il dépeint toujours le même Serviteur de l’Éternel. Quant à Jésus, il incarne le Serviteur de l’Éternel par les souffrances et la mort subies comme le juste. Jésus n’a pas souffert pour ses péchés, mais pour ceux du peuple : sa mort est un sacrifice.
« Frères, libérons-nous de nos angoisses ! En projetant dans la vie de Jésus l’image de son Serviteur, Dieu nous assure de sa fidélité à ses promesses, qui ne s’accompliront ni par la guerre, ni par des hauts faits, mais par la souffrance des humbles et le sacrifice des justes. Rappelez-vous les paroles du Maître : " le Royaume des cieux est à ceux qui ont faim et soif de justice " !
Tandis que Jacques parlait, Jean était resté tourné vers lui mais son regard lointain montrait qu’il était ailleurs. « Frère, a-t-il dit, tu parles encore selon la chair. Ce que tu as dit n’est pas faux en soi, mais le devient lorsque tu prends les Écritures dans leur sens littéral. Elles sont parole de Dieu en révélant ce qui, caché à l’expérience des sens, émane de son action directe dans les événements appréhendés allégoriquement. Littéralement, le chant du Serviteur évoque le peuple juif, personnifié par le prophète ou l’un de ses justes ; spirituellement, il indique l’événement nouveau qui renverse le cours de l’histoire, la mort expiatoire de Jésus. Ce chant révèle que la mort de Jésus est le véritable sacrifice expiatoire qui rachète les hommes de leurs péchés et abroge les sacrifices du temple.
« Hier, quand Jésus a rendu l’esprit, du sang et de l’eau ont jailli de son corps. Le chant du Serviteur m’en a révélé la signification : sa mort est la source nouvelle donnée par Dieu aux hommes pour leur purification, et la coupe dans laquelle nous offrons à Dieu le sang pour le pardon de nos péchés. Le temple est toujours là, sur le mont Sion, mais il n’est plus que l’image du temple de Dieu lui-même, où est offert le sang du fils de Dieu et non plus celui des animaux. Jésus est le véritable agneau qui ôte les péchés du monde. Aujourd’hui pointe l’aube de la nouvelle Pâque !
Le visage de Pierre, assombri par l’angoisse à son arrivée, s’était éclairci ; s’adressant à l’un, puis à l’autre, il déclara : « Je ne sais lequel de vous deux louer davantage, frères, pour l’apaisement que vous nous apportez. Vos commentaires du chant du Serviteur se complètent. Jacques, tu as réconcilié Jésus avec le judaïsme qui l’avait rejeté, et tu lui as redonné place, pour ainsi dire, parmi nos pères et nos traditions. Toi, Jean, comme d’habitude, tu nous as découvert dans une belle envolée la valeur réelle de sa mission, derrière le sens caché des Écritures. Qui est donc Jésus ? Il nous avait lui-même posé la question, et personne n’avait su reconnaître en lui le Christ, parce qu’il avait toujours évité de porter ce titre. Sa mort atteste qu’il a préféré cacher que révéler sa personnalité de Christ.
« Nous avons reçu la grâce et le privilège d’être ses compagnons, et nous avons la certitude d’être les héritiers de ses promesses. Mais nous devons vivre encore à l’ombre du judaïsme, fidèles au culte et aux traditions de nos pères dans l’attente de sa glorification, et prêts à devenir ses témoins et ses hérauts dans le monde.