Sommaire
Prologue
La méthode
Le bâtard
- Introduction
- Le fils de Marie
- Le fils de prostitution
- Marie, femme prostituée ?
. « Trouvée enceinte »
. L’adultère
. L’image refoulée
. Raisons théologiques
. Motivations historiques
. Résumé
. Un texte de Celse
- Les récits sur Marie
- L’enfant sauvé par Yahvé
- Le samaritain
- L’homme sans père
- Le fils de David
- Le fils de Joseph
- Qui est ma mère ?
- La mère de Jésus
- Le père de Jésus
- Résumé
De Nazareth au Jourdain
La crise spirituelle
La pratique du baptême
Recherche sur le discours
Le corpus du discours
Analyse du discours
Genèse du discours
Jésus, le nouvel Élie
Procès d’excommunication
Le délire et le désert
Des événements au texte
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L’image refoulée de Marie : motivations théologiques
On peut supposer que Matthieu a été motivé par la thèse qui régit son récit : la naissance virginale de Jésus. Logiquement, cette naissance aurait dû être située dans une généalogie maternelle, puisque, dans ce cas, l’enfant tire son être exclusivement de sa mère, sans le concours d’un homme. Mais une généalogie maternelle aurait constitué un non-sens dans le judaïsme, il fallait donc inscrire la naissance de Jésus dans le cadre d’une génération paternelle.
Cela produit une aporie car, tandis que dans la succession des aînés c’est le père qui engendre, ici c’est la mère. L’enfant n’est légitime que dans la mesure où, par le biais du mariage, il passe pour fils du mari de sa mère(1). C’est pour accorder la génération des pères avec cette génération par la mère que Matthieu cite ces femmes : dans la mesure où, pour lui, la Bible n’est qu’une préfiguration du Christ, ces femmes assument une signification messianique.
Dès lors on peut penser que d’autres raisons théologiques se superposent à celle-ci. Des exégètes s’évertuent à les rechercher en se fondant sur les caractéristiques de ces femmes.
Quelques-uns constatent que Tamar et Rahab sont cananéennes, Ruth moabite et Beersheba hittite ; ils pensent que Matthieu a voulu mettre en évidence le caractère universaliste du Christ, qui est sauveur de tous les peuples.
D’autres remarquent que le mariage de ces femmes présente des irrégularités : ceux de Tamar et de Ruth s’inscrivent dans le cadre du lévirat, celui de Rahab est célébré après qu’elle ait vécu comme prostituée, celui de Beersheba a été légitimé après un adultère. Ces exégètes affirment que Matthieu a voulu souligner, par ces irrégularités, que Dieu est complètement libre dans le choix des femmes et des hommes donnant naissance à son fils ; la tache de ces femmes ne ferait que mettre en relief l’origine divine du Christ.
D’autres enfin observent que ces femmes ont été célébrées pour leur foi, qui éclipse leur faute et les rend dignes d’être proposées comme exemples de perfection chrétienne(2).
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(1) Matthieu achève ainsi sa généalogie : « Jacob engendra Joseph, mari de Marie, de laquelle naquit Jésus, qui est appelé Christ » (Mt 1:16). L’insertion de la génération virginale dans le cadre d’une généalogie est unique dans le monde juif, elle ne trouve de modèle que dans le monde gréco-romain.
Des auteurs s’évertuent à trouver d’éventuelles sources dans le judaïsme en se référant à Judith, qui avait refusé les nombreux partis qui lui étaient offerts (Jd 16:22), ou à la pratique du célibat des esséniens (voir R. Lorentin, Structure et théologie de Luc I-II, Gabalda, Paris, 1957, pp. 183-188). Mais ces remarques sont hors de propos : l’exigence de célibat d’une jeune-fille avant le mariage, ou d’une veuve comme Judith, ou d’une fraternité religieuse, n’a rien à voir avec la maternité virginale. Celle-ci est absente du judaïsme, y compris dans la naissance de ses héros : elle ne constitue le modèle de la naissance du « fils de Dieu » que chez les gentils. 
(2) Pour toutes ces interprétations, voir :
M. Johnson, The purpose of the biblical genealogyes, Un. Press, Cambridge, 1969, surtout pp. 153-156 ;
D. Hellern, « The four women in St. Mattews genealogy of Christ », in Journ. Bibl. Literature (21), 1912, pp. 68-81. 
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