a théorie du Droit naturel que Vico oppose au positivisme de Machiavel et de Hobbes s’apparente au jus-naturalisme de Grotius. Parler d’une influence du philosophe hollandais dans cette première période de la pensée vichienne pourrait paraître surprenant puisque, selon l’Autobiographie, Vico aurait lu le De jure belli et pacis seulement au moment de la composition de la biographie de A. Carafa, qui remonte à la période postérieure du De antiquissima (16). Puisqu’il avait décidé d’en entreprendre un commentaire, il semble qu’il avait fait une première lecture de l’ouvrage. En effet, la conception du droit naturel qui apparaît dans ses Discours s’apparente à celle de Grotius.
Soulignons, tout d’abord, que la démarche de Grotius est analogue à celle de Hobbes, puisqu’il cherche à comprendre le droit naturel en se référant au premier état de l’homme. Leur perspective est cependant différente. En effet, Hobbes retrouve ce premier état dans l’âge préhistorique, tandis que Grotius le recherche par un procédé juridico-philosophique qui apparaît comme un postulat rationnel du droit.
Son argumentation est double. A posteriori, à partir des différents droits positifs, il constate que le droit romain ne déclare pas ennemis les peuples avec lesquels Rome ne se trouvait ni en état de guerre, ni en relation d’amitié. Cela impliquait entre eux une relation de non agressivité, comportant la reconnaissance d’un droit de nature. Au lieu de se trouver dans un état naturel de guerre, les hommes par nature sont liés par une relation de parenté (cognatio) qui, sans les associer concrètement, leur défend de se nuire.
A priori, ce droit naturel s’identifie aux normes suprêmes de la raison, ainsi qu’avec cet ordre que Dieu a établi, selon les Écritures, au moment de la création, de la nouvelle création après le déluge, enfin du salut par le Christ (17).
La théorie générale du droit naturel qu’il a héritée directement de la tradition humaniste rapproche moins Vico de Grotius que le fait qu’il reconnaît un état de parenté pré-juridique entre les hommes. Cependant, le mot par lequel les deux philosophes expriment cette parenté est différent : pour Grotius, il s’agit d’une cognation, pour Vico d’une agnation (18).
Cette différence est très importante. En effet, l’agnation est la parenté constituée en ligne masculine par l’autorité du père, qui en droit romain reconnaissait le nouveau-né pour son enfant et héritier par l’imposition de sa main. La cognation, au contraire, désigne la descendance en ligne maternelle, par les filles.
Au temps de Justinien seulement, l’agnatio a cédé la place à la cognatio (19), les deux expressions devenant pratiquement synonymes, bien que sémantiquement elles aient gardé leur signification propre, surtout dans les domaines non juridiques. Cela incite à comprendre la même théorie du droit naturel chez Grotius et Vico selon une optique différente. Pour Grotius, la fraternité entre les hommes est fondée sur la descendance physiologique. Dieu n’est pas exclu, il intervient comme créateur dans l’acte de génération lui-même.
Pour Vico, au contraire, la fraternité humaine n’est pas liée nécessairement à la génération. On est frère, en effet, par une intervention spéciale de Dieu, dans la mesure où, à la naissance, il nous choisit comme fils et héritier de sa propre divinité. La loi naturelle correspond donc, non à la nature physique des hommes, mais à leur nature idéale qui est éthicité pure (20).
En d’autres termes, le droit naturel se fonde non sur le sang et sur la chair, mais sur la parole de Dieu, que Vico découvre inscrite dans les mythes. Grotius est déjà entré dans la période de l’illuminisme, tandis que Vico la dépasse. Sans doute reste-t-il attaché à la conception pichienne selon laquelle l’homme existe par l’acte de sa propre liberté. Sa position lui permet de ne pas rejeter entièrement la théorie de Hobbes, puisqu’il a pu s’approprier la notion d’état de guerre primitif sans lui donner une valeur juridique. Cet état de guerre ne constitue pas la véritable humanité : hommes, ils le deviendront lorsque dans le mythe ils découvriront qu’ils sont fils de Dieu.