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Profil biographique de Jean-Baptiste Vico
INTRODUCTION
LES DISCOURS
Vico orateur
La connaissance de soi et la divinité de l’homme
Conscience éthique et conscience historique
La morale des intellectuels
La politique du pouvoir et la politique de l’autorité
Le droit de la guerre et la sagesse du Droit
La corruption de la nature et la méthode des études
La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico
DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE
Vue d’ensemble
La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique
La nouvelle science
La controverse des langues
Langue et méthode
Le vraisemblable et le sens commun
Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute
Logique analytique et logique synthétique
Métaphysique et mathématiques
. Pour une philosophie galiléenne
. La mathématique universelle de Descartes
. La réduction mathématique
. La synthèse mathématique comme création
. Le caractère linguistique des mathématiques
. L’intuition mathématique
. La démonstration mathématique
. L’ouverture maligne du point
DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE
BIBLIOGRAPHIE
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ans une de ses pages autobiographiques les plus saisissantes, Descartes raconte comment il est parvenu à s’interroger sur les mathématiques au cours de sa première démarche philosophique. Il avait constaté que, dans leur quête de la vérité, les hommes ressemblaient à des chercheurs de trésor qui, poussés par le désir, se laissent plus conduire par la chance que par l’habileté ; ils errent donc par absence de méthode. Descartes prit alors conscience que les mathématiques dépassaient les autres sciences en certitude parce qu’elles offraient la possibilité de vérifier leurs énoncés.
Puisque la méthode d’exposition des mathématiques était différente de celle de leur invention, Descartes s’est demandé comment les anciens mathématiciens étaient parvenus à les connaître (3).
Dans l’expérience du jeune Descartes apparaît le même souci de vérité et de certitude, qu’adulte il a manifesté dans les Discours et les Méditations. La prise de conscience de l’errance humaine y a cependant été moins forte. Les œuvres de la maturité se rapportent à une humanité déchue de sa responsabilité d’être pensant, pour avoir préféré le vraisemblable à la vérité. Ce choix indique qu’elle est parvenue au comble de l’illusion, puisque, sous l’apparence du vrai, elle demeure dans l’erreur. C’est pourquoi Descartes a choisi une méthode conduisant cette humanité à périr avec ses apparences par l’affirmation du « cogito ».
Dans l’expérience des Regulae il a trouvé, au contraire, l’homme plus malheureux que coupable, parce qu’il s’est égaré dans son désir de vérité faute de méthode. Pour éviter cet égarement, une méthode suffit donc, c’est à dire un ensemble de règles qui guident l’homme dans sa démarche. Il n’est pas nécessaire que son esprit soit purifié par le doute, puisqu’il désire et veut la vérité. Cela confirme le choix des auteurs de la Logique de Port-Royal, portés sur les Règles plutôt que sur les Discours. Leur vision de l’homme et leur conception de l’erreur correspondent à celles du jeune Descartes.
Malgré leur opposition, ces deux expériences constituent les points de départ et d’aboutissement du même processus spirituel critique, en quoi Descartes a toujours rejeté la topique. Dans les Règles, elle a été présentée comme une méthode d’invention. Pour lui, la prétention de la topique a consisté à rechercher la vérité et à errer jusqu’à sa découverte. En la rejetant, le jeune Descartes s’est inscrit dans le courant anti-cicéronien et dans l’esprit de la langue française. Il s’est ainsi détourné de l’humanisme, qui avait fait de la logique cicéronienne sa méthode de penser. Dans le Discours, il s’est encore trouvé aux prises avec la topique, mais découverte dans sa véritable production, démasquée à ses yeux dans son illusion, c’est à dire le vraisemblable.
Ayant répudié le vraisemblable, il a recherché la méthode d’invention au niveau des mathématiques, ce qui correspondait au penchant de son génie : retrouver par lui-même ce que les autres avaient énoncé. Concernant la méthode d’invention, il connaissait déjà trois choses : qu’elle n’était pas topique, qu’elle comportait de l’ordre, et que ce dernier était distinct de la méthode d’exposition des mathématiques. Mais puisque celle-ci était synthétique, allant des principes généraux aux théorèmes, il ne lui restait pour la retrouver qu’à inverser ce rapport, allant par un processus d’analyse du composé au simple, ce qui constituait la méthode déductive.
Cependant ce procédé s’était inscrit dans une enquête beaucoup plus complexe. Descartes avait cherché à savoir pourquoi, dans les temps anciens, la connaissance des mathématiques était obligatoire pour les études de philosophie. Dans ce fait, il a reconnu l’indice que les anciens avaient placé les mathématiques en relation étroite avec l’articulation de la pensée, dont elles constituaient le modèle. Il a pris ainsi conscience qu’au-delà des nombres et des figures existaient d’autres mathématiques utilisant des symboles (exemples) différents, réglés toutefois par la même ordonnance. Négligeant ces mathématiques particulières, il porta alors son attention sur cette « mathématique universelle » dont l’objet était précisément « l’ordre et la mesure » (4).
Ces deux termes ne sont pas synonymes : toute mesure est ordre, mais tout ordre n’est pas mesure. Cependant Descartes les a juxtaposés, puisqu’ils étaient saisis par une même intuition. En réalité, il a utilisé la méthode déductive en même temps qu’il l’a découverte. Par des intuitions consécutives, il est passé des rapports de nombre à des rapports proportionnels dans d’autres symboles, puis à des rapports de mesure, enfin à des rapports d’ordre. Le couple « mesure – ordre » pourrait exprimer l’idée simple de cet enchaînement d’intuitions.
Mais ce même processus l’a conduit à franchir trois niveaux : les mathématiques particulières, la mathématique universelle et la méthode. De même que la mathématique universelle est supérieure aux mathématiques particulières, la méthode l’est vis-à-vis de la mathématique universelle, parce qu’elle a pour objet l’articulation de la pensée. Descartes décida alors de soumettre sa recherche à l’exigence de cet ordre « ... tel que partant toujours des choses les plus simples et les plus faciles, je m’interdise de passer à d’autres, avant que dans les premières il m’apparaisse que ne reste rien à désirer » (5). Le « petit » livre des Règles n’a eu pour but que de condenser les réflexions sur cet ordre à observer dans la pensée.
Il convient de souligner la portée de la réponse donnée par Descartes au problème posé par Galilée sur la philosophie et les mathématiques. Pour Galilée, la nature n’est connue scientifiquement que par le langage mathématique. Comme il avait répudié la théologie, il a refusé la prétention de la philosophie au savoir scientifique, la reléguant au niveau de la culture. Pour Descartes, la découverte de la méthode mathématique conduit à la prise de conscience de la primauté de la philosophie comme science des idées. Les rapports mathématiques de mesure sont des idées au même titre que les autres, connaissables par l’expérience de la pensée.
Ainsi qu’il a été dit au chapitre quatre, Descartes a pris les mathématiques pour point de départ de la connaissance a priori d’un monde réel possible, tandis que Galilée s’en est exclusivement servi de grille pour la connaissance des phénomènes. Pour l’un, les êtres mathématiques étaient objet d’intuition, pour l’autre lettres d’un langage. Aussi, à l’heure où la révolution galiléenne impliquait la mort de la philosophie comme science, la méthode cartésienne impliquait la possibilité des mathématiques par la philosophie.
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