ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris



La  rupture  cartésienne  et  la  naissance
d’une  philosophie  de  la  culture
dans  les  œuvres  juvéniles  de  J.-B.  Vico





Le  De  nostri  temporis  studiorum  ratione  (1708)



9-  Métaphysique  et  mathématiques






98- L’ouverture maligne du point



La logique ou l’art de penser, de Nicolle et Arnauld, 1664





Profil biographique de Jean-Baptiste Vico


INTRODUCTION


LES DISCOURS

Vico orateur

La connaissance de soi et la divinité de l’homme

Conscience éthique et conscience historique

La morale des intellectuels

La politique du pouvoir et la politique de l’autorité

Le droit de la guerre et la sagesse du Droit

La corruption de la nature et la méthode des études

La rhétorique des Discours et le projet philosophique de J.-B. Vico



DE NOSTRI TEMPORIS STUDIORUM RATIONE

Vue d’ensemble

La controverse des Anciens et des Modernes et la conscience historique

La nouvelle science

La controverse des langues

Langue et méthode

Le vraisemblable et le sens commun

Le « cogito » cartésien et l’interrogation vichienne du doute

Logique analytique et logique synthétique

Métaphysique et mathématiques
Pour une philosophie galiléenne
La mathématique universelle
  de Descartes
La réduction mathématique
La synthèse mathématique
  comme création
Le caractère linguistique des
  mathématiques
L’intuition mathématique
La démonstration mathématique
L’ouverture maligne du point


DÉMARCHE POUR UNE PENSÉE CRÉATRICE



BIBLIOGRAPHIE


hacun sait que les géomètres font partir du point la méthode synthétique, et ils progressent ainsi au moyen de postulats vers la contemplation de leurs objets infinis, tirant des lignes sans fin. Si on demandait par quelles raisons cela est vrai et comment ce genre de vérité se transpose de la métaphysique à la géométrie, on ne trouverait rien d’autre que l’ouverture maligne du point. En effet, la géométrie a tiré sa vertu d’extension de la métaphysique... » (22).

Il est hors de doute que Vico a tiré le mot « ma­lin » des Méditations de Descartes, dont il était un lecteur assidu. Ce recours aux Méditations dans le problème des mathématiques s’explique parce que ce dernier s’inscrivait dans le cadre des recherches sur le fondement de la vérité. Quand il s’est mis à réfléchir aux mathématiques, il s’est trouvé dans la même situation que Descartes au moment du doute méthodologique. Confrontons les deux citations.
   Chez Descartes, le « génie malin » intervient quand l’esprit prend conscience des préjugés cau­sés par le vraisemblable. La tâche du « génie ma­lin » est de le persuader que le vraisemblable est source d’erreur. Cette persuasion par le doute est une « ruse », puisque le vraisemblable n’est pas faux en soi, et qu’elle cherche à mettre en évi­dence les vérités existant dans la pensée (23).

Chez Vico, l’esprit se trouve aussi en face d’un vraisemblable qui, en dépit de sa dissolution par l’analyse, lui résiste à cause d’une matière qu’il n’a pas produite. L’esprit se trouve dans une si­tuation tragique. Il réalise que la connaissance des choses ne revient qu’à Dieu, parce qu’il en est le créateur ; l’homme ne peut prétendre qu’à une connaissance topique. L’esprit se révolte alors pour tenter d’anéantir la résistance de la matière et la réduire aux formes de la pensée.

Nous remarquerons que cette analyse a une fonction analogue à celle que le doute exerce dans l’expérience cartésienne, car elle vise à renier le monde réel et irréductible à la pensée. De même qu’au terme du doute n’existait plus pour l’esprit de ciel ni de terre, de même au terme de l’analyse l’esprit a renié le monde. Cette opération analy­tique a donc été suggérée par un esprit malin. Sa malignité apparaît surtout à la fin, par le point, signe d’une matière traversée par la pensée, mais aussi d’une ouverture qui s’offre à l’esprit.

Cependant une différence existe entre l’esprit malin cartésien et l’esprit vichien, quant à l’effica­cité de leur ruse. Chez Descartes, il disparaît pour céder la place au Dieu trompeur, dès qu’il par­vient à libérer la pensée de ses préjugés d’enfan­ce. Chez Vico, la ruse ne s’arrête pas à la folie négatrice de l’analyse, car au moment où le point se charge de la négativité de l’univers, il devient réceptif à l’infinitude de l’être. Ainsi, par le biais de la négation, le point donne à l’homme la pos­sibilité de créer un univers de formes où il peut agir en Dieu (24).

Cette affirmation permet de mieux comprendre l’impact de la culture humaniste et baroque dans la pensée vichienne. Dans sa réflexion philosophi­que, Vico a toujours eu sous les yeux deux ima­ges de l’homme : celle de la Renaissance et celle de l’art baroque. Il a pu mesurer la grandeur de la première image surtout grâce à Pic de la Miran­dole, guide de ses Discours : l’homme médiateur de l’univers dont l’essence est en liberté d’exis­tence, vivant comme Dieu dans son monde.
   Mais Vico n’est pas parvenu à donner à cette image un support philosophique. Pour que l’hom­me puisse devenir Dieu d’un univers réel et con­cret, il devrait le créer ; or Vico n’avait pas enco­re trouvé chez l’homme une telle puissance. À cet égard, l’homme qu’il a fondé par sa démarche philosophique est inférieur à celui décrit par Ba­con, dont la puissance était à la mesure de l’infinitude de sa connaissance. Pour Vico cette connaissance demeurait limitée, finie, incapable – semble-t-il – de transformer le réel.

C’est pourquoi il s’est inspiré de l’autre image de l’homme, que lui offrait la culture baroque : l’homme qui, conscient de son incapacité à at­teindre la création des choses, s’élève par des ruptures au-delà du croyable et du possible pour ne vivre que de son acte créateur. Or Vico est parvenu à donner à l’homme un pouvoir de rupture qui lui permet d’exister comme sujet pen­sant dans un univers qu’il a lui-même créé en se plaçant entre la métaphysique et la physique. Il a su donner une réalité à la ruse cachée dans l’entreprise baroque, qui cherchait à atteindre l’être par le truchement de l’image. L’ouverture maligne du point marque l’aboutissement d’une culture qui se voulait prométhéenne.




Thèse soutenue le 22 juin 1974




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t312980 : 03/10/2017