ico, comme Descartes, a inscrit l’étude des fondements des mathématiques dans le cadre de la recherche de la vérité. Il convient de rappeler l’alternative offerte à Vico au terme de sa démarche logique, à laquelle allusion a été faite au chapitre précédent : limiter la connaissance au domaine du vraisemblable, ou parvenir à une pensée créatrice de son objet. Mais comment l’esprit pourrait-il devenir créateur, s’il n’est qu’un processus de synthèse topique s’exerçant sur une matière étrangère ?
Cette impossibilité apparaît surtout au moment de la formation des jugements, quand l’esprit doit analyser le vraisemblable et le redéfinir par l’affirmation de l’être. En effet, l’analyse montrait que la vraisemblance logique était irréductible à la pensée dans sa matière, puisqu’elle provenait des perceptions. L’esprit demeurait alors à mi-chemin dans son processus analytique, écartelé entre une force transparente et réductible, et une matière opaque, résistante et fuyante. Il lui était impossible de reconnaître ses propres représentations, puisqu’il n’en avait pas été tout à fait le créateur (6).
L’esprit se trouvait-il dans une impasse ? Un point devait encore être clarifié : en effet, si la matière topique ne se laissait pas réduire à la pensée, elle ne pouvait pas échapper cependant à l’entreprise de l’analyse qui la soumettait à un processus de division. Vico a alors tenté la réduction par le biais d’une division en chaîne, amenuisant successivement la matière jusqu’à parvenir au point extrême de sa divisibilité.
Pour comprendre cette hypothèse, il faut d’abord dépouiller le vraisemblable de ses formes topiques, redevables à l’esprit. Il ne reste alors comme matière que l’ensemble des perceptions au niveau de l’extension, de la multitude et de la succession. Mais au fur et à mesure que la division s’opère, il devient impossible de parvenir aux trois niveaux, à un indivis, c’est à dire à une portion vraiment ultime car, amenuisé et de plus en plus petit, le reste demeure susceptible d’être encore divisé. Le processus de division apparaît ainsi comme un « rocher de Sisyphe ». On peut ainsi affirmer que cette subtilisation de la matière est inutile puisque, par sa possibilité infinie de divisibilité, son écart à la pensée demeure infranchissable.
Malgré cette limite de fait, la fonction analytique se révèle virtuellement infinie, dans la mesure où il est toujours possible de diviser la matière restante, quel que soit son amenuisement. Si la matière lui échappe donc au niveau du fait, elle lui demeure soumise de droit au niveau de sa fonction analytique. Alors qu’elle reculait sans fin les limites de sa divisibilité, elle apparaît maintenant entièrement épuisée par l’analyse qui en couvre toute l’étendue. La fonction de division n’a pour terme possible que la fin de la matière, amenée à un indivis (7).
Pour que la matière parvienne à cette réduction, l’esprit doit réellement la traverser par l’analyse au niveau de la pensée. Cet acte serait impossible si l’esprit ne cherchait pas à rendre disponible la matière par un processus d’abstraction et à s’y disposer lui-même. Au préalable, la matière doit être soustraite à ses conditions physiques, pour être saisie exclusivement dans toute l’étendue de sa divisibilité. Aussi faut-il abstraire l’analyse de son efficacité de fait pour ne la considérer qu’en relation avec la puissance infinie de sa fonction de division.
Ainsi, élevée au niveau de son infinitude, l’analyse s’exerce sur la matière qui se laisse décomposer jusqu’à l’extrême de sa divisibilité. Au terme, l’esprit ne découvre qu’une matière tellement subtile qu’elle apparaît vidée de sa propre substance, à la limite de sa corporéité. L’analyse est constituée par sa finitude en face de l’infini de l’esprit qui l’a traversée ; elle n’est le signe que d’elle-même, limite à l’état pur, à tous les niveaux ; elle est « point », « un » et « moment » au niveau de l’extension, du multiple et de la succession (8).