icoa pris soin de souligner le caractère opératoire des mathématiques, cherchant à les assimiler au langage (11), comme il l’avait fait pour la topique. Simple analogie, ou indice que leur structure était linguistique ? La démarche philosophique vichienne se décalque sur le modèle de la langue, contrairement à la démarche cartésienne qui se fondait sur l’articulation des idées.
Cette orientation différente de Descartes et de Vico provient avant tout de la nature de leur génie, dont l’un était analytique et l’autre éminemment synthétique et inventif. Mais au-delà du génie, elle relève aussi de leur formation culturelle différente, l’une dans l’axe de la tradition philosophique de l’École de Paris, à caractère conceptuel, l’autre dans celui de l’humanisme de la Renaissance et du Baroque, à tendance philologique et rhétorique. Ainsi, pour Descartes, les entités mathématiques étaient des idées, pour Vico elles se définissaient comme des éléments de langage.
Le rapprochement des mathématiques et du langage s’explique par leur insertion dans le statut d’une pensée créatrice. Ainsi le langage joue plus le rôle d’un exemple que celui d’un modèle. Mathématiques et langage se rencontrent avant tout au niveau de leurs « éléments », qui sont des entités indivisibles opérationnelles. Par exemple, pour Vico, le « point » présentait le même caractère que la « lettre », se définissant par réduction de la matière, et en opposition aux autres figures géométriques. Les entités mathématiques n’étaient pas, comme chez Descartes, des rapports idéaux, objets d’intuition au même titre que les « natures simples » ; au contraire, elles étaient produites par l’esprit, n’existant que dans l’acte d’une pensée qui les détermine négativement. Leur science était constituée d’écarts.
En second lieu, les mathématiques se rapprochent du langage par leur valeur de signe. Vico les a placées dans une zone de pensée au-delà de la physique et en deçà de la métaphysique, pour bien indiquer qu’elles ne constituaient pas des « choses ». Leur réalité était donc formelle.
On remarquera également que l’être mathématique est une synthèse de deux éléments formels, l’un tiré de la matière par réduction, l’autre de la possibilité opératoire de l’esprit, c’est à dire de l’être. Ces deux éléments se trouvent reliés sur la base du couple « contenant-contenu », proche du rapport « signifiant-signifié » constitutif du signe linguistique. Les modes de ce rapport sont différents dans les deux exemples : dans le langage il est arbitraire, dans les mathématiques il est nécessaire ; dans le premier il est a priori, dans le second a posteriori.
Cependant cette diversité de mode ne met pas en cause leur unité profonde. En effet, dans l’entité mathématique l’un des éléments est sensible, malgré son abstraction, tandis que l’autre est pensée pure. La synthèse mathématique est, comme la synthèse linguistique, une intuition, mais pas au sens cartésien, c’est à dire l’individualisation d’un concept dans une donnée sensible.
En troisième lieu, mathématiques et langage s’accordent dans l’emploi d’une méthode synthétique, dont il sera question au premier paragraphe ; enfin, parce qu’ils possèdent une fonction de référence qui revient aux mathématiques, toujours liées au monde physique et métaphysique, d’où elles ont été abstraites. En même temps qu’elles s’ouvrent à la possibilité opératoire de l’ingenium créateur, elles couvrent, par leur réduction, l’étendue infinie de la matière réelle.
Ainsi Vico a ôté son énigme et son ambiguïté à l’expression galiléenne de « langage mathématique ». La mathématique est linguistique dans la mesure où elle s’inscrit dans le statut synthétique de l’ingenium créateur. La démarche vichienne a atteint des perspectives épistémologiques que son caractère rhétorique semblait exclure. En réalité, elle a prétendu devenir le support philosophique de la méthode galiléenne. Par là, son œuvre de conciliation dépassait les limites du cartésianisme pour s’étendre à toute la culture.