ANALYSE  RÉFÉRENTIELLE
ET  ARCHÉOLOGIQUE


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Ennio Floris


Les poèmes d’amour
de  Dante  Alighieri




Aux fidèles d’Amour :

amour et cœur gentil




Vita Nuova XX

  Amore e ’l cor gentil sono una cosa,
sì come il saggio in suo dittare pone,
e cosi esser l’un senza l’altro osa
com’alma razional sanza ragione.

  Falli natura quand’è amorosa
Amor per sire e ’l cor per sua magione,
dentro la qual dormendo si riposa
tal volta poca e tal lunga stagione.

  Bieltate appare in saggia donna pui,
che piace a gli occhi sì, che dentro al core
nasce un disio dela cosa piacente ;

  e tanto dura talora in costui,
che fa svegliar lo spirito d’Amore.
E simil face in donna omo valente.


  Amour et cœur gentil sont même chose,
Comme le sage dit dans son dicton,
Ainsi que l’un sans l’autre souvent ose
Telle l’âme rationnelle sans raison.

  Nature fait, quand à aimer dispose,
Amour Seigneur, le cœur pour sa maison
Dans laquelle dormant il se repose
Ou par très courte ou par longue saison.

  Puis beauté apparaît en sage dame
Qui plaît aux yeux, et ainsi dans le cœur
Naît le désir de cet objet plaisant.

  Et souvent tant il dure dans l’âme
Qu’il éveille l’amour par sa douceur,
Tel dans la femme fait l’homme vaillant.

Sommaire
Avertissement au lecteur
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Premiers vers

Introduction

Aux fidèles d’Amour
- Noble ou roturière ?
- Bons et faux-jours
- Fidélité, plaisir, désir
- Amour et désir
- Amour et Béatrice
- Le vaisseau des fidèles
   d'Amour
- Désagrégation du
   compagnonnât
- Après Lappo
- Amour et cœur gentil
- Amour, volonté du cœur
- Violence et douceur
- Plaisir de cour
- Vengeance d’Amour
- Vision d’Amour
- Douleur d’amour
- La douleur en amour
- Remèdes d’amour
- Amour et aventure
- Déclin du fin amor
- De passion en passion
- Intelligence d’amour
- Poésie d’amour
- Un sonnet comme
   expression d’amour
- Poésie et musique
- Poésie allégorique
- Impitoyable, dédaigneuse
   et superbe

Les soixante belles de Florence

Béatrice, dame du secret d’Amour

La dame gentille

Béatrice refuse de saluer Dante

De l’amour à la louange

Lamentations sur la maladie de Béatrice

Mort et glorification

La dame gentille

La Pargoletta

Le refus de la dame gentille

La dame-pierre



. . . . . . . - o 0 o - . . . . . . .

   Dans la Vie Nouvelle, Dante nous dit qu’il a composé ce sonnet à la demande d’un ami, qui avait lu sa chanson Donne ch’avete l’intellette d’amore. Une telle demande était compréhensible puisque, dans ce poème, Dante chante Béatrice, sa bien-aimée, alors qu’elle rompu leur relation. Qu’est-ce qu’Amour, pour que l’homme aime sans être aimé ? Dante répond par ce sonnet, tout d’abord en cherchant à préciser la disposition du cœur en amour, puis en décrivant l’acte. Il dit aussi dans le commentaire de ce sonnet qu’est disposé à l’amour celui dont le cœur est gentil, car Amour et cœur gentil sont la même chose. L’association des deux termes ne lui est pas propre : il l’emprunte à la célèbre chanson de Guy Guinizzelli Al cor gentil repare sempre Amore (l’amour s’abrite toujours dans le cœur gentil). Guinizzelli était le poète que Dante considérait comme le maître et le fondateur du style nouveau, dont avec Cavalcanti et Cino il était le chantre.
   Il est difficile pour nous de bien saisir le sens du mot « gentil », qui est aujourd’hui plus étendu, mais aussi banalisé. Il gardait alors son sens originel de « gentil » par opposition à « barbare », et aussi à « vulgaire », vil, passionnel, instinctif… Il correspondait donc avec le champ de signification du mot « humanitas », non seulement comme culture d’école, mais de vie. Il impliquait l’appropriation de l’esprit de la courtoisie par la bourgeoisie.
   Selon l’intention du Créateur, l’attitude de l’amour est la gentillesse, comme le propre de l’âme est la raison. De même qu’on peut vivre sans raison, on peut aussi aimer sans être gentil : l’amour n’est pas le propre de l’homme, ce qui le rend humain c’est la gentillesse.
   Ainsi, quand l’homme y est disposé, l’amour surgit à la suite de l’apparition de la beauté d’une femme « sage ». Ici Dante réaffirme la médiation de la femme dans l’amour par la beauté et la sagesse, qui ne suppose pas la vertu morale, mais la conformité de la conscience aux principes de la courtoisie. Il s’agirait donc de l’apparition de la beauté dans une femme gentille, courtoise. La véritable médiatrice en amour est donc la beauté, par laquelle la femme devient porteuse de l’ordre de perfection que le Créateur a mis dans l’univers, ainsi que du mouvement de finalité de toute chose vers lui.
   C’est par l’attrait de cette beauté que le désir naît dans le cœur de l’homme. Mais désir de qui ? De la chose qui plaît. Mais qu’est-ce que cette chose ? La femme, ou ce à quoi sa beauté porte par la négation d’elle-même ? Le sonnet se termine en laissant le lecteur dans cette interrogation, comme sans doute l’ami qui avait posé la question. Mais Dante ne pouvait aller plus avant : il avait choisi la forme du sonnet parce qu’il savait bien ne pas pouvoir écrire une chanson… Le sonnet semble s’arrêter au désir, mais puisque le poète désire sans pouvoir s’unir à son amie, il ne peut s’agir que d’un désir qui dépasse la passion et même l’amour physique, un désir par lequel l’homme aime sans être aimé, et sans plus pouvoir espérer.


c 1977




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